L'assassin de Sherwood
d’une oreille distraite les projets de Branwood pour le lendemain matin. Ses paupières s’alourdissaient. Des images de Maeve lui traversèrent l’esprit, puis ce fut l’oncle Morgan braillant un chant gallois, le roi Édouard lui reprochant du haut de son trône à Westminster de n’avoir pu déchiffrer ce maudit code, trois rois visitant la tour des deux fous avec deux cavaliers... Sa rêverie fut interrompue par le coup de coude que lui décocha un Ranulf goguenard.
— Messire !
Corbett reprit son gobelet en souriant. Il avait l’estomac lourd. Contrairement à son habitude, il avait trop mangé et bu trop vite. Il desserra sa ceinture pour être plus à l’aise et, soudain, bondit sur ses pieds.
— Mais c’est évident ! chuchota-t-il aux convives stupéfaits. C’est évident !
— Quoi donc ? s’écria Branwood.
— Veuillez me pardonner, Sir Peter, mais je viens de comprendre que Lecroix a bel et bien été assassiné.
— Que voulez-vous dire ? questionna Branwood d’une voix dure.
— Rien, répondit Corbett l’air sombre, si ce n’est que la façon dont un homme met sa ceinture a son importance. Où se trouve le cadavre de Lecroix à présent ?
— Où nous l’avons laissé : toujours dans le cellier, sous un drap. Vous savez ce qu’il en est des soldats, Sir Hugh. Ils sont superstitieux. Ils refusent de toucher au corps d’un suicidé, sauf en plein jour.
— Alors redescendons au cellier ! décida Corbett.
Sur l’ordre du shérif, des gardes apportèrent des torches et les escortèrent jusque dans les caves. Corbett s’accroupit dans le rond de lumière et souleva le linceul improvisé.
— Lecroix était bien gaucher, n’est-ce pas ? redemanda-t-il.
— Tout cela est-il nécessaire ? s’enquit Roteboeuf d’une voix lasse. Par l’Enfer, Messire ! Être forcé de regarder Lecroix de son vivant suffisait déjà à vous couper l’appétit !
Sans se soucier des ricanements, Corbett enchaîna :
— Personne n’a touché à la dépouille ?
— Non, bien sûr !
— Eh bien, examinez donc sa ceinture !
— Oh, pour l’amour de Dieu ! lança Branwood, irrité.
Corbett tapota la ceinture du pendu.
— Veuillez remarquer que l’extrémité est tournée vers la gauche.
— Et alors ?
— Lecroix était gaucher, comme je l’ai constaté en examinant le corps tout à l’heure. Cette ceinture devrait être accrochée en sens inverse, l’extrémité tournée vers la droite, après être passée par la boucle.
— Ce coquin était toujours soûl comme une bourrique, murmura Naylor. À se demander comment il arrivait seulement à la mettre !
— Cette idée m’a effleuré, mais je me suis rappelé un détail. Voyez comme cette ceinture est attachée.
Corbett la prit soigneusement et la brandit :
— Tous les trous, sauf un, sont intacts et n’ont jamais servi. Une ceinture est un objet très personnel. Nous la ceignons de la même manière chaque jour, à moins de grossir, bien sûr.
Corbett passa son doigt sur la courroie jusqu’à un trou situé près de l’extrémité, loin de celui utilisé par Lecroix :
— Voyez-vous comme ce trou a été agrandi et légèrement déchiré ? À en juger par ce qu’on voit de cuir crème en dessous, cela a été fait il n’y a pas longtemps.
Il posa la ceinture et se redressa :
— Voici mes deux questions : pourquoi Lecroix a-t-il mis sa ceinture à l’envers et pourquoi ce trou, bien éloigné du cran habituel, porte-t-il des traces d’utilisation récente ?
Tous le fixèrent en silence : Branwood bouche bée, Naylor clignant des yeux comme s’il ne pouvait suivre le raisonnement du clerc, frère Thomas dans l’expectative. Quant à Roteboeuf, l’éclair de compréhension qui étincela dans ses yeux n’échappa pas à Corbett.
— Je suis d’avis, conclut ce dernier, que cette ceinture fut arrachée à Lecroix et utilisée pour lier quelque chose qui força le cuir et causa l’agrandissement du second trou. J’irai plus loin. Je pense qu’elle lui fut attachée autour de la taille après sa mort, ou – devrais-je dire – après son assassinat.
Corbett s’agenouilla à nouveau près du cadavre et releva les manches de l’habit élimé :
— Admettons qu’il ait été tué. Soit on l’aura transporté dans ce cellier, soit on l’y aura trouvé déjà fin soûl. N’oubliez pas que le malheureux – Dieu ait son âme ! – n’avait pas toutes ses
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