L'assassin de Sherwood
nous ne sommes pas aussi bêtes qu’il le pensait.
Il s’assit sur le lit et observa Ranulf :
— Écoute-moi bien, mon fidèle serviteur, toi qui veux devenir clerc, écoute-moi bien, Ranulf-atte-Newgate : si nous découvrons qui a tué Lecroix ou Vechey, nous mettrons la main sur Robin des Bois.
Il s’approcha du coffre, au pied du lit, et en sortit une cassette renforcée de ferrures d’à peine un pied de longueur et fermée par trois serrures. Il les ouvrit avec l’une des clés qui pendaient à sa ceinture.
— Messire ?
— Oui, Ranulf.
— J’admets que ce que vous avancez est vrai, mais considérez un autre aspect de la situation : nous sommes seuls dans cette forteresse et entourés d’assassins. À quoi nous sert-il de le savoir si cela conduit à notre perte ?
Corbett fouilla dans la cassette et choisit un parchemin qu’il lança à son compagnon.
— En effet ! murmura-t-il. Mais n’est-ce pas toujours ainsi, Ranulf ? Je vais même te donner un autre motif d’inquiétude : Robin des Bois, à mon avis, n’est peut-être pas le seul à vouloir notre mort.
— Vous voulez dire que l’assassin du château aussi ?
— Non, il pourrait s’agir d’une troisième personne.
Le sang se retira des joues de Ranulf qui s’affala sur le lit.
— Sainte Vierge, ayez pitié !
Il loucha sur le parchemin que lui avait passé Corbett :
— Cela a-t-il quelque chose à voir avec cette affaire ?
— C’est pire !
Corbett respira profondément.
— Avant notre départ de Westminster, te rappelles-tu que notre souverain, après nous avoir accordé audience, nous a raccompagnés dans la cour et m’a pris à part ?
— Oui. Vous êtes allés, tous deux, dans la roseraie et vous y êtes restés belle lurette. Je me demandais ce qui ne tournait pas rond. Non seulement le roi n’a fait aucun cas de moi, mais encore il a laissé son grand ami, le comte de Surrey, ronger son frein.
— C’était à propos du message codé, bredouilla Corbett, l’air penaud. J’aurais dû t’en parler avant.
— Quoi ? Le roi sait-il la vérité sur la tour des fous et les trois rois qui prennent les deux cavaliers ? ironisa Ranulf.
— Non. Le mystère reste entier pour lui comme pour moi.
Corbett passa sa langue sur ses lèvres sèches.
— Philippe le Bel et ses deux fripouilles de conseillers, mes vieux amis Amaury de Craon – qu’il pourrisse en Enfer ! — et Guillaume de Nogaret, n’ignorent pas que nous avons ce message. Ils savent que nous sommes conscients que le temps joue pour eux. Les troupes françaises vont bientôt envahir la Flandre. Nous sommes convaincus, poursuivit le clerc d’une voix sarcastique, que les Français sont prêts à tout pour nous empêcher de trouver le code. Or, Ranulf, toi qui es joueur dans l’âme, sache qu’ils ont décidé de sauver leur mise. Ils ont engagé un sicaire, un tueur professionnel, un criminel dont nous ne connaissons que le sobriquet : Achitophel, l’un des démons de Satan.
Corbett regarda son serviteur droit dans les yeux :
— Eh bien, Amaury de Craon et d’autres de son acabit sont persuadés que c’est à moi qu’incombera la tâche de décrypter le message. Un de nos agents au Louvre a fait parvenir au roi une nouvelle qui me fait froid dans le dos : Achitophel a été envoyé en Angleterre avec mission de me faire disparaître. Et de supprimer, le cas échéant, ceux qui travaillent avec moi.
Ranulf resta coi. Il fixait son maître avec stupéfaction. Il ne redoutait pas le danger. C’était un combattant-né qui avait grandi dans les ruelles et les passages fétides de Southwark. Mais si un malheur arrivait à Sir Hugh Corbett, qui protégerait Ranulf ? Qui se soucierait de son ambition de devenir clerc ou de ses possibilités de promotion au service de la Couronne ?
— Qui cela peut-il bien être ? bégaya-t-il.
— N’importe qui. Un comédien ambulant, un prêtre, un mendiant accroupi au coin d’une rue. Pire, Achitophel reste toujours dans l’ombre. Nous savons qu’il est responsable de la mort d’au moins une douzaine de nos agents en France et en Flandre. Je dis « il », mais cela pourrait tout aussi bien être une femme ! Parfois, c’est lui qui porte le coup fatal. D’autres fois, il engage un tueur pour faire la besogne. Si cela se trouve, il est déjà au château ou a soudoyé quelqu’un rubis sur l’ongle, et ce dans un but et un seul : m’abattre.
Ranulf
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