L'assassin de Sherwood
facultés et que, même sans vin, il sombrait souvent dans un sommeil profond. Je doute fort qu’en état d’ébriété il eût pu se rappeler son nom ! Donc, poursuivit Corbett, une fois Lecroix complètement ivre, le meurtrier lui a ôté sa ceinture et l’a ligoté en lui immobilisant les bras.
Le clerc prit la ceinture et la glissa soigneusement autour du cadavre en passant la courroie dans la boucle et en l’attachant de telle façon que les bras du mort se retrouvèrent étroitement serrés le long du corps. En entendant le murmure d’approbation qui suivit, Ranulf sourit dans son for intérieur. Enfin ! son Maître Longue Figure leur avait démontré qu’il n’était pas homme à prendre des vessies pour des lanternes. En effet l’ardillon s’adaptait exactement au trou agrandi.
— Comprenez-vous où je veux en venir ? demanda Corbett en jetant un coup d’oeil à la ronde.
Ils firent signe que oui, les torches éclairant leurs visages tendus et attentifs.
— Comme vous le constatez, la courroie entoure solidement le corps. Lecroix, ivre mort, ne peut bouger les mains. L’assassin, alors, se saisit du malheureux, le force à se tenir sur cette caisse, lui passe le noeud coulant autour du cou et repousse la caisse. Le pauvre Lecroix gigote et s’étrangle lentement. J’ai envisagé cette hypothèse la première fois que je suis entré dans ce cellier, et j’ai donc examiné ses poignets avec la plus grande attention.
Corbett détacha la ceinture et releva encore davantage les manches de l’habit pour découvrir les ecchymoses marbrant chaque bras, juste sous le coude.
— Ainsi donc, il a été assassiné ! s’exclama Branwood.
— Oui ! Une mort atroce, Messires. Il a peut-être mis de longues minutes pour passer de vie à trépas. Ensuite, le criminel est sorti de son recoin et a défait la ceinture pour l’enrouler rapidement autour de la taille de sa victime. Mais comme il était droitier, il ne l’a pas attachée comme l’aurait fait Lecroix. Qui le remarquerait ? Qui découvrirait ce trou trop grand dans la ceinture ou ces ecchymoses sur les bras ? Et quand bien même, qui établirait un rapport entre tous ces faits ?
Corbett se releva et hocha la tête :
— Ce n’est que lorsque j’ai desserré ma propre ceinture, à table, que cette idée m’a traversé l’esprit.
— Mais pourquoi ? s’étonna Roteboeuf.
Corbett remarqua la pâleur de son visage et les gouttelettes de sueur sur son front.
— Pourquoi assassiner ce pauvre Lecroix ?
— Pour deux raisons, intervint Ranulf, lançant une oeillade à son maître. Et deux raisons évidentes, Messires. D’abord, son suicide serait apparu comme la manifestation de son remords d’avoir tué son maître, et ensuite cette mort aurait aidé à dissimuler la vérité.
— Comment cela ? lança brusquement Branwood.
— Je sais ce que va dire Ranulf, s’interposa Corbett. Lecroix ne cessait de songer à la disparition de son maître. Peut-être avait-il remarqué un détail suspect dans cette chambre et s’en souvenait-il. L’assassin l’a compris. Mais quel détail, hein ?
Corbett regarda ses compagnons :
— Le malheureux s’est-il confié à l’un d’entre vous ?
— Il m’a parlé, répondit Roteboeuf, qui se tenait dans l’ombre. Il n’arrêtait pas de répéter que son maître aimait bien que tout soit en ordre.
— Qu’entendait-il par là ?
— Je l’ignore. C’est ce qu’il marmonnait constamment.
— Mais ce n’était absolument pas le cas ! protesta Ranulf. Je veux dire... ce château a besoin d’être nettoyé, repeint...
Il n’acheva pas sa phrase devant les murmures d’indignation qui s’élevèrent.
— Ce que Ranulf veut souligner, expliqua Corbett avec tact, c’est que les attaques des hors-la-loi avaient dérangé l’esprit de Sir Eustace. Et ce qui est plus important, enchaîna-t-il avec force, c’est que l’on a supprimé Lecroix parce qu’il a vu quelque chose qui aurait pu trahir l’assassin de son maître. Sur ce, Messires, je vous souhaite bonne nuit.
Il quitta le cellier, Ranulf sur ses talons. Ce ne fut qu’une fois la porte de leur chambre refermée qu’il se permit un sourire. Il dégrafa sa ceinture et la jeta sur le lit.
— C’est bien ! se félicita-t-il. Nous avons jeté un pavé dans la mare. Certes, nous ne pouvons rien contre le meurtre de Vechey, mais nous avons marqué un point : l’assassin sait maintenant que
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