L'assassin de Sherwood
s’étendit sur le lit en poussant un gémissement.
— Achitophel, murmura-t-il, un assassin dans le château, des brigands dans la forêt, le roi qui nous en baille des vertes et des pas mûres pour un message codé que personne ne comprend !
Il haussa la voix :
— Les trois rois vont à la tour des deux fous avec deux cavaliers.
Il ferma les yeux :
— Oh, Seigneur Dieu !
— Laissons cela ! décida Corbett d’une voix résolue, en se levant.
Il prit son écritoire, lissa du vélin et approcha la bougie :
— Un peu de lecture ne te fera pas de mal, Ranulf ! Relis ce que le clerc de Westminster a écrit sur Robin des Bois.
Le serviteur se redressa et déroula le parchemin, l’étudiant scrupuleusement en remuant silencieusement les lèvres. Il s’enorgueillissait de savoir lire et ne perdait jamais l’occasion de faire montre de son talent devant son maître.
— Sir Peter Branwood nous en a déjà raconté la majeure partie, commença-t-il. Ce brigand s’appelle Robin de Locksley. À l’âge de seize ou dix-sept ans, il a combattu contre le roi aux côtés de Simon de Montfort {16} .
— Arrête !
Corbett leva la tête et contempla le lambeau de nuit que découpait l’archère. Il se sentait oppressé. Édouard, à Westminster, n’avait pas trop insisté sur ce point. Voulait-il lui cacher quelque chose ? Simon de Montfort, comte de Leicester, avait été à la tête d’une grave rébellion contre la Couronne, quarante ans auparavant. Montfort, qui possédait des terres près de Nottingham, n’avait été vaincu qu’à la bataille sanglante d’Evesham. Robin des Bois aurait-il nourri des idées de vengeance ?
— Quel âge doit avoir Robin des Bois, maintenant ? demanda brusquement Corbett.
Ranulf réfléchit, les sourcils froncés :
— Evesham a eu lieu en 1265, par conséquent il doit avoir la cinquantaine, cinquante-cinq ou cinquante-six ans.
— Hum ! songea Corbett. Pas tout jeune, donc, mais il est vrai que le roi et ses connétables, bien que plus âgés, sont capables de mener des campagnes épuisantes dans les vallées sauvages d’Écosse.
Ranulf prit un air sceptique.
— Ce que je ne peux comprendre, mon maître, c’est que, si l’on en croit les écrits de ce clerc, Robin des Bois était un hors-la-loi qui ne s’attaquait qu’aux riches. Sa générosité était légendaire, surtout envers les pauvres qui le soutenaient ouvertement et le protégeaient. Certes, il livrait bataille dans la forêt, mais il ne commettait jamais de crimes gratuits ou de coups en traître comme l’assassinat des collecteurs d’impôts ou celui du pauvre Vechey. Alors pourquoi maintenant ?
— Peut-être a-t-il perdu l’esprit.
D’un geste las, Ranulf jeta le vélin sur le lit.
— Je suis fatigué, Messire. La journée a été longue.
Il commença à se déshabiller. Sentant ses paupières s’alourdir, Corbett l’imita, puis moucha les chandelles et resta étendu un moment, fixant l’obscurité. Des images l’assaillirent : le message codé, Maeve lui disant adieu, le vieux roi fou de rage, Lecroix pendu à la poutre et la dépouille de Vechey, seule et abandonnée dans le dépositoire. Au-dehors, un chien hurla à la lune et des chauves-souris frôlèrent les murailles. Le hululement lugubre d’un chat-huant s’éleva des taillis proches. Corbett frissonna, se retourna et s’endormit en se demandant ce que lui réservait le lendemain.
Au pied de l’à-pic, Achitophel, le tueur à gages, était attablé au Pèlerin de Jérusalem. Le sicaire, qui avait sur la conscience la mort de maints adversaires du roi Philippe, sirotait son vin en observant la taverne bondée par les gardes et les serviteurs du château. Assis dans l’ombre, il ne quittait pas des yeux, par la fenêtre ouverte, la masse sombre de la forteresse et préméditait l’assassinat de Corbett.
CHAPITRE IV
Le lendemain matin, après s’être restaurés de pain frais et de godale dans la cuisine, Corbett et Ranulf gagnèrent la cour. Le ciel était bas et de lourds nuages noirs s’amoncelaient, porteurs de pluie. Branwood les rejoignit, son heaume à visière dans les mains. Il avait déjà revêtu son haubert de mailles et son camail.
— J’espère qu’il ne va pas pleuvoir, grogna-t-il. Sinon, il nous faudra faire demi-tour.
— Cette expédition est-elle bien raisonnable ?
— Oui. Je le répète : nous n’avons pas le choix.
Un soldat dévala l’escalier du
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