L'assassin de Sherwood
expliqué. Le 13 du mois, à minuit, trois flèches enflammées illuminent la nuit. Personne, poursuivit Maigret avec un geste las, personne ne sait qui les lance ni pourquoi.
— Depuis combien de temps cela dure-t-il ?
— Oh, six mois au moins !
Le regard du médecin se durcit. Il scruta le visage sombre et fermé du clerc et remarqua les gouttelettes de sueur sur son front.
— Que voulez-vous vraiment, Corbett ? Vous êtes quelqu’un de taciturne et pourtant vous êtes venu me parler.
Corbett lui sourit. « Il me faut être plus circonspect », songea-t-il. Maigret lui était apparu, au premier abord, comme le médecin typique, prétentieux et imbu de lui-même, mais en fait le personnage ne manquait ni de finesse d’esprit ni de perspicacité. « Pourrait-il être l’assassin ? » se demanda le clerc.
— Avant que vous me posiez la question, murmura Maigret, je précise que je n’ai rien à voir dans cette affaire. Je suis veuf et j’exerce mon métier au château et dans la ville. Je vais à la messe tous les dimanches et fais don de trois livres de cire par mois à l’église de ma paroisse afin qu’après ma mort soient célébrées, pour mon âme, dix mille messes chantées. Je connais les propriétés des différents remèdes, mais ne possède aucun poison. Vous êtes libre de fouiller mes quartiers ou ma maison.
— Je vous remercie de votre franchise, Messire, et n’irai pas par quatre chemins, moi non plus. Si je désirais tuer quelqu’un, où devrais-je m’adresser à Nottingham ?
Maigret eut l’air surpris et plissa les paupières.
— Vous êtes malin comme un renard, Corbett. Trop malin pour votre bien. Je n’y avais pas pensé. Mais c’est pourtant logique.
Il se pencha pour poser le reste de pain par terre pour les chiens.
— La réponse est simple. Si je voulais me procurer du poison ou s’il fallait aider une jeune fille à se débarrasser de l’enfant qu’elle porte, alors j’irais chez cette vieille sorcière de Hecate. Elle tient boutique dans une bâtisse à deux étages dans Mandrick Alley, derrière St Peter, près de Bridesmith Gate. C’est facile à trouver : juste en face de la taverne Au Cochon en Gloire où, si vous êtes prêt à payer rubis sur l’ongle, vous pouvez acheter tout ce qui vous fait plaisir.
Corbett se leva.
— Vous y allez de ce pas ?
— Oui ! Si vous voyez Ranulf, mon serviteur...
— Cela m’étonnerait. Il est parti, il y a au moins une heure, rasé de près, les cheveux frisés et parfaitement peignés, aussi élégant que Maître Chanteclerc au milieu de ses poules !
Corbett fronça les sourcils. Il aurait deux mots à dire au jeune homme, mais cela attendrait. Il ordonna à un palefrenier bougon de seller à nouveau son cheval. Puis il repartit vers la ville, après avoir bu une gorgée d’eau, puisée à la louche dans une des barriques, près des cuisines. Sur la place du marché, il demanda à un gamin au visage barbouillé et aux cheveux hirsutes de le conduire au Cochon en Gloire. L’enfant accepta avec un large sourire qui dévoila quelques dents déjà noires. Corbett lui offrit une piécette, mais dut rapidement doubler la somme pour l’empêcher de clamer haut et fort que le clerc morose qu’il guidait voulait aller au Cochon en Gloire pour y « rompre une lance ». Corbett était presque convaincu que le drôle comprenait parfaitement le sens de l’expression, mais il préféra ne pas s’en assurer.
Le quartier derrière St Peter était aussi sinistre et repoussant que le dédale des ruelles de Southwark. De vastes demeures à poutres apparentes qui avaient connu des jours meilleurs se serraient les unes contre les autres, empêchant le soleil d’atteindre les venelles encombrées d’immondices. Toutes sortes de truands infestaient ce labyrinthe. Certains vinrent dévisager Corbett sous le nez, mais reculèrent vite à la vue de son épée et de son poignard. Quant au garnement, il se révéla aussi bon protecteur que guide assuré. Ils arrivèrent à Mandrick Alley, où les colombages se rejoignaient presque au-dessus de leurs têtes. Des colporteurs et artisans vendaient des colifichets, des pigeons ou des peaux de lapin sur de pauvres étals. Le Cochon en Gloire, sis au milieu de la rue, arborait une enseigne d’un bleu et or criard qui se balançait à une large poutre dépassant du toit. Une foule de bons à rien se pressait devant l’entrée. Des ribaudes, pitoyablement
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