L'assassin de Sherwood
retenir un juron lorsqu’en jaillit le cadavre d’une femme dont les bras fendirent l’air comme si, même morte, elle voulait le rosser. Il recula et contempla l’empailleuse étendue sur le sol, ses cheveux gris acier épars sous elle. Il ne vit aucune trace de violence, ni de sang. Il s’accroupit et retourna le corps. Il mordit un coin de sa cape pour ne pas crier : le visage de la vieille aux traits taillés à la serpe était devenu gris et tout gonflé. Ses yeux saillaient des orbites et sa langue pendait. Elle s’était débattue jusqu’à son dernier souffle contre la corde d’arc qui lui enserrait étroitement le cou. Corbett bondit sur ses pieds et regagna Mandrick Alley à grands pas, aspirant de longues goulées d’air, un air si pur par comparaison avec celui qu’il venait de respirer !
— Quelque chose ne va pas ? marmonna l’un des soldats en remarquant la pâleur du clerc.
— Oui ! murmura-t-il. Hecate est morte.
Le garde désigna du menton la taverne où, à en juger par le tintamarre, les gens dépensaient la manne distribuée par Corbett.
— Ils disaient qu’elle était partie. Elle avait une chaumière près de Southwell.
— Pour être partie, elle est partie ! Et elle n’est pas près de revenir ! jeta Corbett d’un ton acerbe. Toi, surveille cette maison ! Et toi, ordonna-t-il à l’autre garde, va au château et répète ceci à Sir Peter Branwood : « Hecate était une sorcière. Elle est morte et à présent ses biens appartiennent à la Couronne. »
Après le départ du soldat, il paya le gamin, reprit son cheval et repartit à travers l’enchevêtrement des ruelles en s’enquérant de l’emplacement du Coq sur la Barrique.
Il trouva Ranulf dans le petit jardin, sous une tonnelle fleurie, faisant la cour à la belle jeune femme que Corbett avait aperçue au marché. Ranulf se leva, l’air embarrassé, et fit les présentations. Corbett posa ses lèvres sur la main douce et fraîche que lui tendit la demoiselle. Puis il la dévisagea attentivement.
« Elle est ravissante », songea-t-il. Un seul regard à Ranulf lui apprit que son serviteur était tombé sous le charme. Tout ce qu’il pouvait faire, c’était de contempler la donzelle avec des yeux de merlan frit. Corbett ne savait s’il fallait en rire ou en pleurer. « Si l’on m’avait donné une pièce d’or à chaque fois que tu es tombé amoureux, Ranulf, je serais l’homme le plus riche du royaume », ironisa-t-il in petto.
— Sir Hugh ?
Corbett se tourna aimablement vers la jeune femme.
— Demoiselle Amisia, veuillez me pardonner ! J’avais l’esprit ailleurs. Je crains que Maître Ranulf et moi-même n’ayons une tâche urgente qui nous attende.
— Je comprends. Un clerc de la Chancellerie doit avoir tellement de travail !
Ranulf lança un coup d’oeil d’avertissement à Corbett.
— En effet, répondit celui-ci d’une voix suave. Maître Ranulf est l’un des clercs qui jouissent le plus de la confiance de notre souverain. S’il oeuvre avec acharnement, il va, sans aucun doute, avoir de l’avancement.
Un sourire contraint aux lèvres, Ranulf chuchota :
— En ce cas, mon maître, je vais d’abord finir mon vin.
— Comme tu veux, pourvu que tu vides ton verre sur-le-champ ! murmura Corbett entre ses dents. Demoiselle Amisia, où est votre frère, Rahere ?
— Il conte des histoires sur la place du marché, Sir Hugh. Il y est fort habile, remarqua-t-elle avec fierté. Maître Ranulf m’a promis qu’il userait de son influence auprès du roi pour nous obtenir l’autorisation de présenter un spectacle à la cour, à la Noël.
Corbett étouffa un ricanement :
— Demoiselle Amisia, c’est justement une affaire de ce genre qui requiert notre présence ailleurs.
Sur ce il salua la saltimbanque, saisit Ranulf par la manche et l’entraîna sans ménagement hors de la taverne.
— Vous n’étiez pas obligé d’agir ainsi, Messire !
— Si ! J’ai besoin de toi.
Ranulf allait expliquer qu’il ne recherchait pas la compagnie de Rahere et d’Amisia dans le seul but de passer le temps, mais il vit l’expression farouche de son « Maître Longue Figure » et jugea que prudence était mère de sûreté. Corbett lui raconta tout : les soldats pendus, sa conversation avec frère Thomas, les flèches enflammées et la découverte du cadavre d’Hecate. Ranulf siffla entre ses dents.
— Donc notre franciscain, qui a un pied dans
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