L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford
avait
mis Dick Liddil en danger et ce dernier avait une telle foi en l’amitié de Bob
qu’il l’avait supplié de jouer le rôle d’intermédiaire auprès des autorités.
Dick fut transféré à Kansas City sous la garde
du shérif et de deux de ses adjoints, puis réceptionné à la gare par le
commissaire Craig et Thomas Speers, le chef de la police, qui se hâtèrent de le
conduire à la prison de la Seconde Rue avant que des journalistes eussent vent
de son identité. Dans sa cellule, assis respectivement sur le lit à lattes et
sur une chaise, l’accueillirent William H. Wallace, le procureur du comté de
Jackson, et un greffier fluet qui portait des lunettes demi-lune ; bien qu’il
fit nuit et que leur respiration formât de la buée en raison du froid, Wallace
interrogea Liddil pendant plus de trois heures. Après quoi, un docteur rendit
visite à Dick et, tout en le grondant, purgea le pus de sa blessure et la
saupoudra de poudre de colophane avant de la panser.
Clarence se soignait pour sa part au moyen d’infusions
de bouillon-blanc – une plante antitussive – et il s’en préparait justement une
théière quand il entendit une voix ressemblant à celle de Bob Ford l’appeler
dans la cour. Clarence s’approcha de la porte vitrée en sous-vêtements longs, attifé
d’un peignoir de femme, la corolle rouge d’un mouchoir pressée contre ses
lèvres. C’était la nuit et il lui était impossible de distinguer quoi que ce
fut au-delà du cercle de lumière que projetait une lanterne suspendue dehors. Il
glissa une épaule entre la porte et le chambranle et aperçut Bob Ford, qui
battait en retraite pour éviter toute remontrance, et Dick Liddil, dans un
rocking-chair, qui soufflait des nuages de condensation sur ses mains menottées.
Puis un homme qui devait plus tard se présenter à Clarence sous le nom de Henry
Craig s’avança et demanda à Liddil :
« Vous confirmez que cet homme est bien
Clarence Browler Hite ? »
Liddil hocha la tête avec remords ; Clarence
se borna à examiner une tache de sang dans sa paume, qu’il essuya sur son fond
de pantalon. Craig interpella Bob : « Mr Ford ? »
Bob leva les yeux.
« Identifiez-vous cet homme comme l’un de
ceux qui ont attaqué le Chicago, Rock Island and Pacific à Winston, dans le
Missouri ?
— Tu n’as pas l’air trop vaillant, Clarence »,
constata Bob.
Clarence corrobora la remarque d’une quinte de
toux. Il paraissait avoir rétréci de cinq centimètres dans toutes les
directions.
« Ça fait près de quatre mois que je
fonds de la tête et des épaules. »
Craig lui tapota les côtes avec un mandat d’arrêt
et lui en résuma le contenu pendant que Clarence décryptait le sceau imposant, ainsi
que les signatures du gouverneur et du secrétaire d’État. Le shérif Timberlake
lui passa les menottes aux poignets et Clarence apostropha Bob :
« Tu sais quoi ? Mes verrues : elles
sont toutes revenues, jusqu’à la dernière. »
Le 13 février, Clarence Browler Hite fut
déféré dans le comté de Daviess, où il fut inculpé sous deux chefs d’accusation :
pour le meurtre de William Westfall et, subsidiairement, pour participation à l’attaque
de Winston en juillet. Lors des audiences préliminaires, quelques semaines plus
tard, au grand désarroi de son avocat, il reconnut sa culpabilité concernant l’attaque
du train dans le seul but de ne pas subir de contre-interrogatoire et de ne pas
courir le risque de révéler de renseignement important aux autorités. Il fut
condamné à vingt-cinq ans de réclusion au pénitencier de Jefferson City où, en
1883, bien après que les informations en sa possession eussent perdu tout
intérêt, il confessa ses crimes et mourut promptement de consomption, comme il
l’avait prédit.
Le dimanche 19
février, des tempêtes de neige balayèrent le Missouri et paralysèrent tout
commerce pendant plus de deux jours. La neige escamota les routes, donna aux
fils du télégraphe des airs de hamacs et ensevelit le bétail jusqu’à hauteur de
jarret. Elle coupa les lignes ferroviaires en direction de St Louis à l’est
de Kansas City, stoppa l’acheminement du courrier quelque part au sud d’Omaha
et sa fonte valut au Mississippi d’atteindre une largeur de près de cent
kilomètres aux environs d’Helena, dans l’Arkansas ; pourtant, elle ne put
empêcher Bob Ford de rencontrer le gouverneur Crittenden le mercredi, à l’occasion
du bal des
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