L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford
avaient résolu de
ne pas aller reconnaître la banque de Maryville, puis étaient sortis. Mike
Hilgert avait adressé un clin d’œil vers le coin de la salle et apostrophé
Omaha Charlie : « Qu’est-ce qui t’a rendu si sociable, d’un coup ? »
Omaha Charlie était parti furieux du saloon, mais
avait plus tard expliqué : « J’ai vu l’enfer au fond des yeux de cet
homme. » À Graham, dans le Missouri, Jesse demanda à un forgeron de
referrer l’un des sabots de son cheval et, alors qu’il allait se réchauffer les
doigts près du feu, remarqua que l’homme au tablier en cuir n’était autre qu’Uriah
Bond, dont le fils John avait été à l’école primaire avec les frères James vers
la fin des années 1850 et s’était engagé dans l’armée nordiste avant d’être
assassiné par Jesse durant la guerre de Sécession.
Uriah Bond regarda les deux hommes par en
dessous pendant qu’il travaillait sur le sabot avec sa pince et son marteau. Jesse
s’avança vers lui avec une râpe afin que le forgeron pût égaliser la corne une
fois qu’il aurait incrusté les rivets des clous. « Tu sais qui je suis, hein ? »
lui glissa Jesse. Bond demeura penché en avant, muet. Il sectionna d’un coup
sec la pointe d’un clou en faisant pivoter la panne de son marteau, puis
arrondit le dos tandis qu’une large main lui couvrait les yeux et qu’il
tremblait de terreur, de désespoir, de rage et de chagrin.
« Tu n’en diras pas un mot à qui que ce
soit, n’est-ce pas ? » souffla Jesse.
Et Uriah Bond ne parla de cette visite à
personne jusqu’à ce qu’il eût vu la photographie de Jesse, les yeux fermés, les
poignets croisés, ligoté à une planche appuyée contre un mur pour donner l’impression
qu’il était debout.
Une nuit, dans le Kansas, sous une pluie
glacée dont les gouttes les cinglaient comme des pièces de monnaie, les deux
hors-la-loi se réfugièrent dans un petit hôtel blanc d’une treizaine de
chambres et en louèrent une au premier étage. Deux lampes à gaz chuintaient au
mur, le large lit était impeccablement fait, la penderie et l’armoire vides. Mais
l’un des tiroirs d’une commode du dix-huitième siècle qui trônait dans un coin
était verrouillé et Jesse le crocheta avec un clou pendant que Charley s’extrayait
de ses vêtements. La serrure cliqueta et Jesse s’exclama : « Presto
chango ! »
Il ouvrit le tiroir. À l’intérieur se
trouvaient une cravate noire comme la nuit rayée de rouge, une chemise blanche
amidonnée encore enveloppée dans le papier d’emballage bleu de la blanchisserie
et un col en celluloïd tout propre qui était exactement à la taille de Jesse. D’après
un entretien que Charley accorda au Richmond Conservator, c’était la
tenue que Jesse portait au matin du 3 avril.
Puis vint la troisième
semaine de mars. Les coups de froid et le vent se faisaient plus rares, les
pâturages reverdissaient, la neige ne persistait plus que sous forme d’îlots ou
d’amas à l’ombre, les rues des villes étaient envahies par une boue visqueuse
qui s’agglutinait aux roues des voitures à chevaux et cuisait lentement au
soleil de l’après-midi avant de se détacher comme l’écorce d’un arbre. Jesse
évoqua des attaques de banques, mais comme on fait mention de la présence un
nid d’hirondelle sous l’avant-toit ou de la gêne qu’occasionne une paire de
chaussures achetée par correspondance. Son épouse étant souvent incommodée
jusque vers midi, il se chargeait avec plaisir d’une partie de la cuisine et du
ménage et commanda même chez l’apothicaire du Complexe végétal de Lydia Pinkham
(que la réclame décrivait comme « un remède positif pour toutes les
indispositions douloureuses et les défaillances si communes même chez les
meilleures représentantes de la population féminine »).
Il prépara des macarons avec un tablier autour
de la taille, invita des amies de Zee à rendre visite à celle-ci et baisa la
main gantée de chacune pour les saluer ; la bonté et l’inertie semblaient
avoir supplanté tout ce qu’il y avait de cruel et de criminel dans son
caractère. Il était d’accord avec tout le monde, gâtait ses enfants, versait à
Charley une allocation non négligeable comme si ce dernier eût été son fils
préféré quoique prodigue. Il paraissait résigné, placide – pépère ; on l’eût
cru rangé.
Aussi fut-ce une surprise pour Charley lorsqu’un
jour, alors qu’il
Weitere Kostenlose Bücher