L'avers et le revers
à Montpellier. Mais le baron n’en avait cure et continua
à me causer de la situation du royaume, comme à d’aucun voisin noble qu’il
aurait encontré sur la route de Marcuays, et je n’ai aucune souvenance de ce
qu’il me raconta ensuite, tout son discours s’embrouillant en mes mérangeoises
à peine était-il sorti de sa bouche.
— Je ne tiens pas pour avéré, dit-il à la parfin et en
proie à un certain doute, que mon Pierre se contentera de cette belle place de
médecin qui m’aurait tant comblé à son âge, et qu’il ne soit paré pour un tout
autre destin. Quand je le vois tant impétueux et talentueux maugré son jeune
âge, je me dis que le monde n’est point trop vaste pour lui qu’il ne tente d’y
mettre sa griffe plus profondément que cela.
Là aussi, cette prémonition me passa dedans la tête sans que
je n’y prenne garde, mais quand je m’y repense ce jour d’hui, j’avoue que le baron
avait bien de la science des hommes pour juger tel, et sur son fil de surcroît,
dont on sait que les pères sont les moins bien logés pour y voir clair.
Le baron s’accoisa et se rencoigna un moment, paraissant
s’aviser d’autres pensées qui, lui chargeant la tête et l’âme sans doute,
changèrent du tout au tout sa physionomie.
— Ce voyage en Montpellier devra attendre aussi le
dénouement de ce mal dont la petite Hélix est atteinte. Tu n’ignores pas ce
qu’il en est ?
— Non, Moussu lou Baron, et j’en suis fort triste,
aimant prou Hélix pour ce qu’elle est, et pour mon maître aussi.
— Oui, qui peut dire pourquoi ceci survient à cette
pauvrette, et qu’il est bien honteux de la voir tant jeune jetée en de si
cruels tourments. Mon fils aura bien de la peine.
Que cette tristeuse pensée mît fin à notre conversation, nul
ne s’en étonnera, et nous fûmes tout alourdis, côte à côte, de la dureté de
l’existence, qui nous pesa encore et encore, nous laissant cois et désemparés.
La lisière du bois qui couvrait la combe entre Mespech et le
village fut dépassée peu après, et nous fûmes dans des prés, verdoyants et
paisibles, goûtant le doux soleil du Périgord, et devant nous le massif clocher
de l’église de Marcuays. Lors, je m’alarmai que le baron ne m’avait en rien
parlé de notre mission, mais je n’osais l’interrompre en son mortuaire
pensement, et toujours au pas lent de nos montures, nous pénétrâmes dans les
premières ruelles où s’activaient quelques artisans sur le pas des logis.
Le baron savait où il allait et monta à l’église, ce qui fut
vite accompli car le village était petit et regroupé autour de son clocher.
Face au porche, il démonta et, s’approchant d’un logis assez cossu, il en
ouvrit la grille, pénétra dans la cour pavée où je le suivis, tirant ma monture
par la bride.
— Miroul, me dit le baron en un sourire, nous voici
dans le sanctum sanctorum [11] de notre ennemi et la belle allure
de ce presbytère montre bien que nos villageois sont régulièrement tondus pour
l’entretenir !
Toquant énergiquement à l’huis, lequel par une gouvernante
toute à la méfiance ne s’ouvrit qu’à demi, il se fit reconnaître comme étant le
baron de Mespech.
— Qu’on s’occupe de nos chevaux, fit-il avec autorité à
un palefrenier qui sortait tout soudain de la grange attenante, et qu’on les
fasse boire surtout ! Madame, prévenez M. le curé que je souhaite le
voir d’urgence pour une affaire qui ne souffre aucun délai.
Dans une vaste salle, bien coquettement meublée, la gouvernante
nous convainquit de patience et partit s’enquérir de la disponibilité du maître
du logis. Le temps passant, le baron faisait mille et un tours et détours dans
la pièce, qui-ci qui-là, s’arrêtant derrière les dossiers des fauteuils, les
serrant des deux mains, puis après un soupir où affleurait sa claire
exaspération, repartait en un sens ou en l’autre, comme lion en cage, et ainsi
de suite, tandis que je me tenais, droit et immobile, près des rideaux de la
fenêtre.
Quand il apparut sur le seuil, le curé de Marcuays me fit
l’effet d’un bon apôtre, la tonsure bien dessinée, le ventre rond, la soutane
longue et propre tombant sur de neuves sandales mais d’où, de chaque, émergeait
le gros orteil, comme un petit détail incongru et obscène. Sa voix était profonde,
douce et assurée, et en chaire, je l’imaginai répandant sur ses ouailles, du
ton patelin de l’évidence, la
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