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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Olivier Merle
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jugeant de la vérité selon son unique
sentiment, et sans considération aucune pour son voisin, tout paré qu’il croit
l’être de la volonté divine.
    La vie de nos paysans est tant rude et cruelle qu’elle
trouve aisée à s’exprimer en répandant le sang, surtout si l’autorisation –
ou le prétexte – lui en est donnée par les représentants de Dieu ou du
roi. De cette vérité, j’en ai vu maintes applications en mon existence, et
jusqu’à cette affreuse barbarie de la Saint-Barthélemy, que je vécus à la
terreur avec mon maître en la grande ville de Paris. Et c’est là un vrai
détournement du malheur que de voir les miséreux, englués dans la servitude
volontaire de M. de La Boétie, se revancher de leur sort sur de
pauvres innocents lors qu’ils devraient viser ceux-là mêmes qui les poussent en
ces horribles excès. Mais ainsi le pouvoir des puissants est conservé à
l’identique, et même renforcé, comme il le sera sans doutance aucune jusqu’au
Jugement dernier.
    Le baron était, je l’ai jà signalé, bon cavalier, et il
menait, même au pas, un train plus rapide que le mien, car j’avais toute peine
au monde à empêcher ma monture de croquer, en tordant son cou à dextre et à
sénestre, feuilles tendres ou herbes vertes, ce qu’elle faisait tout en
avançant, certes, mais ce qui la ralentissait prou.
    Lors donc nous avancions inégalement, lui d’un rythme rapide
et maîtrisé, moi assez à la lenteur et tirant sans succès sur les brides dès
que ma monture se tournait vers les feuilles d’une branche basse, que je ne vis
bientôt plus le baron, ou devinai seule sa silhouette à travers les
broussailles, et simplement son dos, de place en place, au gré des contours du
chemin.
    Je fus tout étonné de l’entendre parler, haut et fort, non à
moi, comme on le devine, si bien que je talonnai mon cheval pour me rapprocher
au plus vite. Quand je l’aperçus derechef, à dix pas de moi, il avait stoppé
son cheval et s’adressait à un quidam allongé en travers du chemin.
    — Holà, drôle ! disait-il, que fais-tu céans
asteure, au milieu du passage, tel un tronc d’arbre couché par le vent ?
    L’autre porta la main à sa jambe sénestre, et soupirant
fort, geignant même tel un malheureux souffrant d’un cruel pâtiment, répondit
d’une voix faible et défaillante :
    — Messire, de ce que vous voyez, la cause en est des
malandrins qui m’ont estourbi et robé, et m’ont laissé là pour occis. Ma jambe
me fait tant mal que je crois qu’elle en a été brisée par le gourdin, que je ne
peux plus la mouvoir, ni en un sens, ni en l’autre. C’est le ciel qui vous
envoie car je m’apensai servir aux loups, cette prochaine nuit, de pâture, si
nul ne venait à passer en ces bois avant le soir.
    Je ne voyais pas moi-même le quidam, masqué par le baron et
sa monture, mais j’entendis fort bien sa voix pleureuse et gémissante, et mon
cheval à l’arrêt, toujours à une dizaine de pas environ de la scène,
j’attendais que le baron décide ce qu’il avait à faire.
    Il me sembla que celui-ci voulut de son cheval descendre car
il se souleva de la selle, les deux mains appuyées sur le pommeau.
    — Voyons cela, dit-il calmement.
    Mais au même instant, surgit sur sa sénestre, de derrière
des broussailles où, dissimulé jusque-là, il devait attendre son heure, un
gueux, tenant haut une longue pique, et qui courut sus au baron en hurlant.
Tout alla si vite en ce fatal instant que je peine à restituer l’ordre des
événements et qu’il me faut l’y reconstruire patiemment en mes mérangeoises.
    Le baron se tourna vers l’assaillant, mais dans le même
meuvement se pencha en avant, plongeant le bras dans les fontes et, ressortant
incontinent un pistolet, il fit feu à bout portant au moment où la pique allait
le transpercer. Le manant fut rejeté en arrière par la déflagration et tomba
brutalement sur le dos, pour ne plus bouger, une grosse tache rouge de sang en
lieu et place du cœur.
    La Providence voulut que je me trouvasse en arrière, ayant
sur l’action un recul que le baron n’avait point, car sur sa dextre cette
fois-ci, avec un léger temps de retard mais quasi en même temps, un autre gueux
déboula de derrière les troncs d’arbres, tenant en sa main une longue dague, et
se ruant en direction du baron.
    En ces sortes de prédicaments, celui qui est coutumier de la
réflexion avant d’agir, perd la vie, et sans même

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