L'avers et le revers
manquer !
À ces paroles, le curé rougit grandement, jusqu’aux
oreilles, et je le comprends car, moi-même, j’eus de la gêne à entendre de
telles obscénités proférées en presbytère qui, maugré les déviances de la foi catholique,
reste un lieu habité par un représentant de Dieu et où les propos de
soldatesque dissonent fortement.
— Monsieur le baron de Mespech, vous n’êtes pas sans
savoir que votre conduite envers les garces n’est pas celle qu’autorise notre
bonne Mère l’Église et heurte la conscience de nos paroissiens, si bien que je
ne suis pas outre étonné que des ragots là-dessus se colportent, ici et là. Le
péché de chair, de ce que j’en pense…
— Et qu’en connaissez-vous, monsieur le curé, du péché
de chair ? coupa le baron avec un cinglant mépris. Ne sutor ultra
crepidam [13] !
Le curé rougit derechef, baissa les yeux, et si je
n’entendis pas cette belle locution latine du baron, je vis bien que notre
prêtre se sentit prou humilié par la remarque. Il bafouilla quelque peu, puis
s’accoisa un moment, se reprit et déclara :
— Ne parlons plus de cela dont votre esprit s’irrite,
les mauvaises langues sont légion en notre province et la médisante clabauderie
est une occupation qu’on ne peut, hélas, circonscrire.
Et levant les bras et les yeux au plafond, il ajouta :
— Sunt verba et voces praetereaque nihil [14] !
— Qui ne se reproduiront plus ! lança le
baron d’une fort menaçante manière.
— Qui ne se reproduiront plus, j’y veillerai, et
surveillerai à ce sujet mes paroissiens.
— Sur ce, je vous salue, monsieur le curé !
— Moi de même, monsieur le baron, et souffrez de
m’avertir de votre prochaine visite, c’est pour moi un honneur et un plaisir
dont je souhaiterais profiter à l’avance, répliqua le curé, reprenant son ton
uni, obséquieux et ronronnant.
Le baron tourna les talons et sortit à grandes enjambées,
sans un dernier regard pour son interlocuteur, et je le suivis en toute hâte
pour non point rester seul face au curé, lequel me considérait avec une
attention suspecte, sans doute comme un de ces pourceaux d’Épicure dont avait
parlé le baron.
Dans la cour du presbytère, me maintenant à grand-peine deux
mètres derrière le baron, ce qui m’obligeait presque à courir, je sentais à sa
démarche brutale et emportée toute la rage qui l’animait encore, bouche cousue
et crispée, gestes vifs et saccadés, et les yeux étincelants de fureur.
— Que le Diable emporte ce bren de cureton !
marmonna-t-il en tirant son cheval hors de l’écurie, sans même un signe de
reconnaissance au palefrenier qui le bichonnait avec de la paille.
Cependant, quand il se hissa sur la selle, je le vis sourire
tout en flattant d’une main l’encolure de sa monture tandis que, de l’autre, il
combinait les rênes, les ramenait à lui et les tenait bien tendues.
— Ah, sanguienne ! J’ai lu la peur dans ses yeux,
et celle-ci, en ces sortes d’affaires, est bonne conseillère ! Ce chafouin
ne se permettra plus ses vilénies, au moins au su de tous, le dimanche, du haut
de sa chaire !
Prenant à rebours les ruelles qui nous avaient conduits
jusqu’au presbytère, nous gagnâmes les prés où des paysans rassemblaient
troupeaux de chèvres et de brebis puis, quittant la clarté du jour, nous nous
engageâmes sous les grandes frondaisons de la forêt, descendant au pas vers
l’étroite combe qui séparait le village du castel.
Le baron ne semblait plus souhaiter ma compagnie, guidant au
pas sa monture sans plus se retourner et en avant de moi, le buste droit,
dodelinant de la tête au gré des cahots du chemin, muré en des pensées que je
ne pouvais mie deviner. Ce cuidé-je qu’il revivait suavement la querelle et
appréciait d’avoir cloué le bec à cette chattemite de curé, lequel de son côtel
devait se féliciter d’avoir supporté la tempête sans nullement démériter, ni
sans avouer être l’auteur des propos qu’on lui reprochait.
De cette équipée, je m’apense qu’elle fut fort utile car le
fiel que peut répandre un homme d’Église est rendu au centuple par le peuple
qui s’échauffe soudain jusqu’à l’émotion, laquelle tourne à la vaine meurtrerie
que nul ne peut plus endiguer dès lors qu’elle a rompu ses amarres. Et il est
plus qu’urgent de tuer en l’œuf ce poison, surtout quand il s’agit de religion,
où toute raison est proscrite, chacun
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