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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Olivier Merle
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en avait point, mais mes yeux
encontrèrent le grappin avec lequel je grimpais aux arbres, posé à même le sol
à côté du panier de châtaignes. Je m’en saisis et, avisant la plus haute poutre
qui barrait longitudinalement le faîte de la grange, je le lançai de toutes mes
forces, à plusieurs reprises, jusqu’à ce qu’il la croche profondément.
    Assurant la prise en tirant sur la corde, je la jugeai
suffisamment solide pour me hisser jusqu’au sommet et, atteignant la poutre, me
jucher dessus dans une position très inconfortable, la hauteur sous toit étant
des plus réduites. Dans cet équilibre précaire, je commençai patiemment à
déplacer une à une les lauzes, les repoussant sur le côté, afin de ménager une
ouverture par laquelle je pourrais me glisser.
    L’affaire prit dix bonnes minutes car je devais aussi opérer
le plus silencieusement possible pour non pas attirer sur moi l’attention des
gueux qui vociféraient toujours dans la cour, mais ceux-ci étaient trop occupés
à leur triste besogne et, convaincus d’avoir dépêché toute la maisonnée, ne se
souciaient guère de surveiller les alentours. Estimant le trou d’une taille
suffisante pour ma maigre corpulence, je passai délicatement à travers pour me
retrouver sur le toit, non sans avoir auparavant décroché le grappin, enroulé
la corde et fixé l’objet dans mon dos.
    La pente était roide assez, et je progressais lentement dans
la direction opposée à la cour, côté champ, dans l’intention de dérouler la
corde derechef pour glisser sans bruit le long du mur vertical. Parvenu à
l’extrémité du toit et alors que je cherchais une prise pour accrocher mon
grappin, je dus me rejeter en arrière précipitamment, m’allongeant sur les
lauzes, car j’entendis en contrebas un murmure de voix qui se rapprochait. Deux
gueux effectuaient le tour de la grange à la recherche d’une rapine, passèrent
exactement à l’aplomb de ma cachette, mais ne trouvant rien dans les hautes
herbes, pénétrèrent dans la grange où ils eurent aussitôt fort à faire.
    Par l’ouverture du toit, j’oyais leurs cris à chaque nouvelle
découverte et je m’apensais que le temps pressait si je voulais en réchapper,
le trou dans le toit pouvant fort bien attirer l’attention, et l’un de ces
assassins se ramentevoir qu’il ne s’y trouvait pas au moment du forcement des
garces. Aussi vite que le prédicament le permettait, j’accrochai mon grappin,
jetai la corde dans le vide et me laissai couler jusqu’au sol. Ce n’est
qu’après plusieurs tentatives infructueuses, la sueur me jaillissant par tous
les pores de la peau, que je parvins avec un infini soulagement à décrocher le
grappin que je remis incontinent sur mon dos.
    Du mur de la grange à la haie du premier champ, il n’y avait
pas plus de dix pas que je franchis en courant après avoir respiré une forte
brassée d’air pour me donner du courage. Une fois traversé le maigre rideau
d’arbustes, je m’étalai de tout mon long, le souffle rapide, et relevant la
tête aussitôt, je ne devinai alentour aucun péril, ma course ayant été perdue
pour les gueux, lesquels devaient continuer leur méticuleux pillage sans
vergogne aucune.
    Pour non pas laisser entrevoir ma silhouette seule au milieu
du champ, j’entrepris de longer la haie, à marche forcée et plié en deux, et
parvenu de cette manière à son extrémité, je passai dans le pré suivant où, me
redressant tout à plein, quoique encore tremblant et inquiet, je sus que toute
menace était écartée. D’ici, j’aurais pu crier ou hurler à pleins poumons que
les gueux ne m’eussent pas même entendu.
    Cependant, pris d’une frénésie de m’éloigner au plus vite de
cet enfer, je tournai le dos à la ferme et partis à la fuite d’un pas
précipité, le cerveau vide, foulant l’herbe à mes pieds affolés, champ après
champ dans l’humidité du soir naissant.
     
    C’est ainsi, lecteur, que je quittai à jamais le lieu de mon
enfance, sans me retourner et dans l’effroi, le cœur lourd du désespoir le plus
noir, des images atroces imprégnées dans mes veines. De ce pâtiment, j’en ai bu
le calice jusqu’à la lie, et bien davantage, car à la douleur d’avoir perdu
tous les miens en un seul coup de faux, s’ajouta l’amère solitude sur les
chemins de l’exil. Que Dieu me pardonne de le dire ainsi, mais peu s’en fallut
que je ne perde tout à plein fiance en l’homme et que je ne

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