L'avers et le revers
deux danseurs
enlacés, en avant comme en arrière, de dextre à sénestre et de sénestre à
dextre, d’un coin de salle à un autre. Puis reprenant l’assaut, Pierre
multipliait les efforts pour appliquer la technique enseignée, sans se départir
pour autant de ses attaques à tous crins.
À la parfin, Cabusse rassembla les trois frères et
expliquant pour conclure quelques solides principes d’escrime à retenir, donna
là une ultime leçon d’épée, certes, mais aussi d’éloquence. En l’écoutant, je
ne pus m’empêcher de penser que j’avais devant moi le maître habile qui avait
instruit Pierre dans l’art de certains coups de pied fort désagréables, dont
j’avais fait les frais le matin même.
Cabusse n’habitait plus au château, ayant fait souche en
Périgord et marié la Cathau, l’ancienne femme de chambre de la baronne
Isabelle, et tous deux s’étaient installés au Breuil, non loin de Mespech.
Cependant, il y venait presque chaque jour pour éduquer au métier des armes les
fils du baron, Marsal et Coulondre ne pouvant mie assumer cet office, comme
bien on le comprend. Un peu solennellement, Cabusse donna son congé en saluant
de l’épée et, ramassant ses affaires, sortit noblement sans plus se retourner.
Pierre et Samson vinrent à moi, tout suants et dégoulinants
qu’ils étaient, souriants et détendus comme deux gosses, et je fus fort étonné
par Samson qui, m’entourant de ses deux bras, me bailla une forte brassée.
— Je suis bien heureux qu’on ne t’ait pas pendu, dit-il
avec une sincérité qui m’émeut encore quand j’y repense à présent.
Pierre me donna une tape sur l’épaule, un peu à la manière
de son père, et affirma mi-sérieux mi-se gaussant qu’il s’en était fallu de peu
que je ne le sois, et que le domestique qui l’ignorait encore sera fort surpris
d’apprendre le dénouement de l’affaire, étant donné les horreurs que la Maligou
répandait sur mon compte depuis ce matin.
François se tenait à l’écart et, impassible, observait la
scène tout en s’épongeant le front. Il ne me fallut pas long temps pour
comprendre qu’il n’y avait guère d’estime entre François et Pierre, et que la
fracture qui les séparait ne pouvait être réduite. Tout les opposait, du
caractère au statut familial, et jusqu’à l’avenir à construire. François parce qu’il
était l’aîné obtenait tout : le domaine et le titre de baron. C’est le lot
de toutes les familles nobles et ceci, communément, est admis par le cadet.
Mais Pierre n’avait accepté mie ce fait et contestait à François ce droit car,
au fond de lui-même, il s’estimait plus à même de remplir la fonction que son
aîné qu’il jugeait pleutre et indécis. À ceci s’ajoutait un facteur aggravant,
la préférence marquée que le baron n’hésitait pas à montrer en faveur du cadet,
et une relative indifférence à l’égard de l’aîné, qui poussait Pierre dans la
voie de la contestation.
De son côtel, François s’agaçait des prétentions de ce cadet
qu’il trouvait brouillon, impulsif, et même violent, alors que son caractère le
portait à la tempérance et à la composition. Avant tout, François savait le
droit pour lui et ne voyait nulle raison de prouver quoi que ce soit, tout au
rebours de Pierre, lequel avait à cœur de démontrer qu’il aurait mérité d’être
à la place de l’aîné. De cette opposition frontale, il ne sortit jamais rien de
bon tant que nous fumes à Mespech et une fois hors des murs, lorsque nous
quittâmes les lieux pour Montpellier, Pierre ne me parla jamais plus de
François, comme si celui-ci était lors définitivement sorti de sa vie.
Samson aimait tendrement son demi-frère Pierre, et n’avait
pas avec François les mêmes problèmes de préséance. Ayant entamé son enfance
dans une ferme, recueilli au château à la mort de sa mère, et ne portant le nom
de Siorac que par un acte notarié tardif voulu par son père, il n’avait aucune
revendication, comme s’il était encore tout estourdi – et
reconnaissant – d’avoir du jour au lendemain quitté les champs et les
labours pour une particule inespérée. Sa nature profonde, d’une grande
bénignité et préférant par-dessus tout le compromis au conflit, le poussait à
aimer Mespech comme un tout, et François faisait bien évidemment partie de ce
tout. Si Samson avait eu un caractère plus affirmé, il aurait fonctionné comme
un heureux
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