L'avers et le revers
ses
tonneaux.
Le messager, poussiéreux et suant assez de ce qu’il avait parcouru
à brides avalées, et d’une traite, le long chemin qui menait de la ville au
domaine de la frérèche, descendit de son cheval et le tenant par le côté du
mors, au milieu de cette assemblée inattendue ne regardant que lui, eut un
moment d’hésitation, cherchant à reconnaître et le baron Jean de Siorac et
l’écuyer Jean de Sauveterre, qu’il n’avait jamais vus ni de près ni de loin.
C’était un fort gros homme qui devait avoir bien fatigué sa
pauvre monture, laquelle soufflait tant et tant en tournant sa tête à dextre et
à sénestre comme si elle prenait à témoin les spectateurs du calvaire qu’elle
venait d’endurer. D’une chose je me ramentois bien, c’est que ce messager avait
un nez tant grand et tant proéminent qu’il lui mangeait la moitié du visage, et
chacun avait les yeux rivés sur cette protubérance qui, en tout lieu, devait le
précéder d’un bon quart d’heure.
Je me tenais près de mon maître, légèrement en retrait,
quand je vis le baron se rapprocher de lui et, l’ayant rejoint, se pencher à
son oreille. Il parla bas mais point suffisamment pour que je n’entendisse
distinctement assez les paroles que le père destinait au fils.
— Mon Pierre, comme vous n’êtes pas sans le savoir,
dit-il en souriant, naso cosgnoscitur virga [9] !
Mon maître pouffa comme un enfant, et un peu fort sans
doute, si bien que le messager tourna les yeux vers eux et à la vêture du baron
devina qui il était. Jean de Siorac pour prévenir toute gêne à son fils, lequel
peinait à retrouver son sérieux, marcha alors droit à lui et se présenta.
— Moussu lou Baron, dit le gros homme en tentant de
s’incliner, ce qui vu sa corpulence n’était pas sans danger, j’ai une lettre
pour vous et M. de Sauveterre de la part de M. de La Porte,
lieutenant-criminel de Sarlat.
— Et comment se porte notre bon ami La Porte ?
répondit le baron décidément d’humeur badine.
— Fort bien, Moussu lou Baron, et fort heureux de
n’avoir point encore contracté cet affreux mal de peste qui fait trépasser tant
de nos Sarladais.
— Oui, cela est triste et désespérant, et cette
épidémie est bien l’une des plus ravageantes que la ville ait connues.
Sauveterre se fit reconnaître à son tour et derechef le
messager tenta de s’incliner du mieux qu’il put, et lors je m’apensai –
l’humeur du baron se communiquant à la mienne – que son nez, peut-être,
pourrait bien le déséquilibrer en avant s’il n’y prenait garde.
— Marsal ! cria le baron, viens donc ici prendre
ce pauvre cheval et le reposer un peu à l’écurie, tandis que la Maligou fera
goûter à notre hôte du vin de notre vigne pour le désaltérer de la peine qu’il
prit à venir jusqu’ici par combes et par pechs !
— Grammerci, Moussu lou Baron, répondit le messager, et
je dirai point non à votre invite car les chemins sont poudreux et le gosier
s’en assèche, vramy !
Le domestique s’occupa ainsi de notre homme – ce qui
était pour tous l’occasion de connaître les remuements et nouvelletés de la
ville de Sarlat – tandis que le baron, décachetant la lettre, entreprit de
la lire céans au milieu de la cour. Flanqué de Sauveterre sur sa dextre, le
baron était entouré de ses trois fils, de sa fille Catherine et de votre
Miroul, un peu en retrait certes, mais proche assez de son maître et prêt à le
servir comme un attentionné valet.
La lettre comprenait deux pages d’une écriture fine et
serrée et, dès les premières lignes, Jean de Siorac poussa une exclamation
chagrine qui communiqua une tension certaine et très palpable à Sauveterre et
aux enfants groupés autour de lui.
— Ah, mon Dieu… murmura-t-il ensuite.
Puis la face sombre, le front plissé et les épaules soudain
tombantes, lors que quelques minutes auparavant, redressé et réjoui, il se
gaussait de tout et de rien, le baron lut lentement et avec application les
deux feuillets, sans mot piper. Le temps parut long à ceux qui ne lisaient pas
mais qui comprenaient, au visage affecté de Jean de Siorac, qu’il n’y avait pas
là nouvelles dont on aurait à se réjouir.
À la parfin, le baron tendit la lettre à Sauveterre et dit
d’une voix atone :
— Un grand malheur qui s’est produit… Étienne de La
Boétie est mort, le 19 août.
— Mort ? répondit Sauveterre atterré, mais il
avait
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