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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Olivier Merle
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Puymartin et l’un de Compagnac, ce qui nous rendit fermés comme huîtres et
le cerveau tout embué de nos affreux exploits. Car pour mon maître, François et
moi – et n’est-il pas merveille que Samson fut épargné de ce
tourment ? –, c’était bien la première fois que nous tuions des
hommes, et ce n’est pas ce qu’on en lit dans les vieux livres de chevalerie, où
il semble qu’on s’en baille du plaisir à percer un flanc, trancher un bras, ou
décoller la tête. Il n’en est rien, et elle tourne et se retourne en vous les
terribles images de votre adversaire qui se tord sous la douleur, hurle
l’abomination qu’on lui fait et, plus insoutenable encore, braque sur vous des
yeux déjà tout empreints de l’au-delà.
    Le lecteur qui oncques n’aurait connu ces sortes de
tourments, et plutôt ici je songe à la lectrice, laquelle rarement guerroie et
massacre telle la Jeanne d’Orléans, ne peut en concevoir la cruauté et le remuement
sur des âmes sensibles, et même si j’en tiens par la raison qu’il ne peut en
être autrement, surtout en ce siècle où les religions s’affrontent, et même
aussi s’il vaut mieux tuer que d’être tué, l’horreur de la meurtrerie ne se
peut exprimer et rend toujours amer et coi l’honnête croyant. Celui qui s’en
vante, et s’en va le racontant, est la proie du Malin qui seul, du profond de
son enfer, se réjouit et s’abreuve du sang de l’homme, désire sa perte, et rit
de ses malheurs.
    Et bien triste aussi fut le retour en Mespech, avec Marsal
sur la charrette, lequel se trémoussait vilainement au gré des cahots de la
route, les hommes silencieux n’osant le regarder, et ne sachant plus si la
gloire de purger Sarlat de ces gueux valait un tribut tant cruel que de perdre
un si ancien compagnon. Ce retour, le baron l’envisageait lui-même si malaisé,
qu’il recruta avant que de quitter Sarlat un certain Petremol, bourrelier de
son état, et seul au monde depuis peu, la peste lui ayant arraché femme et
enfants et son logis brûlé par les consuls pour la désinfection. Jour pour
jour, presque heure pour heure, ce Petremol vint remplacer Marsal, pour une
autre fonction certes, mais avec l’usance première – ce me semble –
de constituer une diversion à la mort du vieux soldat. Le baron allait de
l’avant, et refusant de voir la mort en face, remplaçait incontinent un homme
par un autre, et d’observer ceci me fit penser que grand capitaine il avait dû
être en ses campagnes militaires.
    De même, je laisse imaginer les cris, pleurs et lamentations
des garces à la vue de notre cortège quand nous passâmes le châtelet d’entrée,
et bien heureux que ce pauvre Marsal n’ait pas eu femme et enfants, ce qui eût
accentué la pénible émotion de ce funeste moment. Mais il fallut bien s’en remettre,
comme de tout, et de la disparition de Marsal, et de cet affreux baptême de
mort où, à l’épée et au pistolet, mon maître avait occis trois gueux, François
un, et moi deux. D’aucuns prétendent que c’est la première fois qui navre, et
que les suivantes laissent à l’indifférence, mais je cuide que seul le soldat
de métier peut s’habituer à cela, le cœur se devant d’en être ôté de la
poitrine avant que de s’engager dans la légion.
     
    À quelque temps de là, lors que dans la salle commune et de
bon matin je trempais mon pain noir dans le lait, la petite Hélix face à moi,
je vis sa face se contracter et, portant la main à la tête, elle poussa un
gémissement qui m’étonna.
    — Qu’as-tu là ? dis-je.
    Elle me regarda en clignant des yeux, les sourcils froncés
de douleur, puis ses traits se détendant lentement, elle finit par me bailler
un gentil sourire.
    — Rien, répondit-elle. Ça cogne fort et me branle
dedans, parfois, mais ça passe…
    — Et depuis quand que ça te branle ainsi ?
    — Quelques mois, mais depuis peu, j’en ai plus grand
pâtiment et une gêne au labeur.
    — Qu’en pense mon maître, que le baron instruit à l’art
du médecin ?
    — Néant.
    — Néant ? Lui qui a des idées sur tout ?
    — Point ne lui en ai parlé.
    — Et pourquoi ?
    — En vaut-il la peine de se pencher sur les maux d’une
petite garce comme moi ? Du domestique, en plus ! Et que si c’était
un grand mal, je m’en rendrais compte !
    Rien n’ajoutai-je à cela, et j’oubliai cette conversation,
comme toutes celles que l’on ôte de sa remembrance aussi vite

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