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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Olivier Merle
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regard vers nous et paraissaient attendre avec
intérêt la suite de l’altercation. L’homme, avant de répondre à mon maître, eut
un mauvais sourire, découvrant une bouche en partie édentée.
    — Se mettre à trois pour tringler une garce, ça doit
bien la ramollir ! dit-il en détachant ses mots, puis il cracha sur le sol
un long jet de salive.
    Je ne sais ce qui me donna le front d’agir ainsi, mais comme
mon maître se levait tel un ressort, sortant à moitié le braquemart de son
fourreau, je saisis son bras et tirant de toutes mes forces, je le fis retomber
sur sa chaise. Il se tourna vers moi, l’œil étincelant, la joue écarlate, et il
me hurla presque à la face :
    — Que te prend, Miroul, de tant de couardise ! Il
nous faut laver cet affront, et sans délai !
    Lui tenant le bras très serré, je me glissai sur le banc
jusqu’à le toucher épaule contre épaule.
    — Que mon maître me pardonne, mais en grand danger nous
sommes, lui soufflai-je à l’oreille.
    — Quoi ? De ce gueux ivre de sa chopine ?
    — Ce gueux n’est que le rabatteur, Moussu Pierre.
    — Le rabatteur ? Que me chantes-tu là,
Miroul ?
    Des yeux je lui désignai les six hommes qui continuaient à
lorgner de notre côté, attendant la suite.
    — Il rabat pour ceux-là, qui sont autrement dangereux.
    Même si mon maître n’en comprit pas les détours, il flaira le
danger car il est malin, comme on sait, et sait juger des situations. De son
côtel, Samson paraissait un ange égaré en enfer, avec ses yeux innocents et ses
boucles cuivrées retombant sur ses épaules. Margot, quant à elle, avait peur et
se tassait sur elle-même, immobile et comme morte.
    — Explique-toi, Miroul, et clairement ! dit mon
maître.
    — C’est un stratagème en usage chez les gueux que l’un
d’eux, en apparence seul et peu redoutable, provoque le bourgeois ou le noble
isolé, et lorsque celui-ci va pour venger son honneur, croyant se battre contre
un seul, il se trouve tout soudain entouré de dix qui lui font son affaire. On
l’estourbit ou on l’occit, selon le cas, puis profitant de la confusion et du
remuement tout autour, on robe ce qu’il a et on disparaît avant la venue des
archers du guet.
    — Comment sais-tu cela ?
    — Je le sais par des marchands ambulants à qui je
revendais mes maigres butins du temps où je robais les castels. Ils m’en ont
averti pour m’en prémunir, me méfier moi-même de ces ruses que mie on ne
soupçonne mais qui peuvent en une séance vous envoyer dans l’au-delà.
    En oyant cela, mon maître se tint coi et je sentis la fureur
refluer en lui, l’insulte du gueux isolé s’effaçant devant l’imminent danger
qui nous menaçait.
    — Moussu lou Baron, votre père m’a demandé de vous
avertir de ces sortes de péril, ajoutai-je à voix basse comme pour m’excuser
d’avoir osé porter la main sur lui.
    — Et tu fais bien, Miroul. Si ces six-là s’en mêlent,
nous n’avons aucune chance d’en réchapper, nous serons dagués avant même que
Samson ne songe à tirer son épée.
    — D’autant que nos pistolets sont dans les fontes et
que nous ne pouvons nous en servir.
    — Lors, Miroul, que conseillaient les marchands
ambulants en si chaudes circonstances ?
    — De payer, et de filer, sans demander son reste. Et de
vérifier qu’on ne nous suive pas pour nous faire notre affaire en lieu isolé et
désert.
    — Bien, je suivrai donc ce conseil. Samson, Margot,
nous partons !
    Mon maître se leva, jeta sur la table une bonne poignée de
pièces, plus certainement qu’il n’en fallait pour payer nos dépenses, mais au
moment où nous descendions de l’estrade en bois où nous étions attablés, le
gueux nous lança haineusement :
    — C’est vêtu comme des princes, avec leur valet et leur
catin, mais c’est plus lâche que les plus lâches des lâches !
    Je crus que mon maître n’allait pouvoir se contenir tant
l’insulte lui pesa, mais il y parvint cependant, et les dents serrées, il
saisit les rênes de la belle Acla, se mit en selle, et nous nous éloignâmes au
plus vite du Trou du tonneau d’or.
    À notre grand soulagement, nous ne fumes pas suivis et
décidâmes de nous rendre incontinent à l’hôtel particulier de
M. de La Porte afin que d’accomplir notre mission. De cet épisode
qui, par bonheur, s’acheva sans navrement pour personne, il me resta la
certitude que j’avais une connaissance du monde, je parle du vrai monde,

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