L'avers et le revers
nous regarder partir non sans s’interroger sur la raison
de ce soudain département.
Dans le sous-bois, mon maître expliqua derechef à Samson la
mission confiée par leur père et sortit pour un bref moment la lettre de son pourpoint
afin que de la lui montrer. Samson branlait du chef en écoutant son frère et
jeta un œil impressionné à la missive, sur laquelle se reconnaissait la grande
et pleine écriture du baron indiquant le destinataire en lettres rondes : M. de La
Porte, lieutenant-criminel en la ville de Sarlat. Nous n’avions pas fait un
quart de lieue en cet équipage que nous encontrâmes la Margot, laquelle
marchait d’un pas vif et décidé, au milieu du chemin et en direction de
Mespech, balançant les bras en alternance et se déhanchant fortement, démarche
qui lui était naturelle, comme je m’en étais déjà aperçu. De la voir ici, le
cœur me bondit dans la poitrine mais ma position de valet, derrière mes
maîtres, m’obligea à tenir l’attitude neutre et indifférente qui se devait
d’être la mienne en toute circonstance.
— Eh bien, Margot, lui lança mon maître quand elle se
trouva à portée de voix, où cours-tu ainsi ? Point ne savais que tu avais
à faire à Mespech ce jour d’hui.
La Margot stoppa devant nos chevaux, jeta un franc regard à
nous trois et répondit les mains sur les hanches :
— C’est mon père qui m’envoie. Du travail à Mespech,
m’a-t-il dit, toujours et à foison on en trouve ! Va proposer tes
services, a-t-il ajouté, et donc je m’en vais voir si
M. de Sauveterre peut lâcher un sol pour une journée de travail.
Sur ce, il y eut un silence car la rencontre était
singulière assez, nous trois à cheval quittant le château comme pour un grand
voyage et la Margot, seule au milieu du bois, qui nous faisait face.
— Et où donc que vous allez, Moussu Pierre, avec votre
frère Samson et votre valet ? demanda la Margot pour briser ce silence.
— À Sarlat, Margot.
— À Sarlat ? Pour un long temps ? reprit-elle
et ses yeux brillèrent aussitôt du même feu que celui que je lui avais connu
près du potager.
— Pour ce jour seul, Margot, et avant la nuit nous
rentrerons, répondit mon maître.
Les garces, quand elles sont jeunes et jolies, et j’eus fort
souvent l’occasion de le vérifier en ma longue existence, ont en usance un
culot que même les grands de ce monde n’ont pas devant le roi, et les requêtes
insensées qu’elles formulent parfois avec le plus adorable des sourires peuvent
désarçonner le plus pisse-froid des hommes. Et la Margot, en ce prédicament, ne
faillit guère à cette féminine tradition quand elle lança à mon maître sur le
ton d’une sœur s’adressant à son frère et en une étrange forme de réponse comme
si question avait été posée :
— Et pourquoi que je viendrais pas avec vous si je gêne
pas, Moussu Pierre ?
D’un modèle vif et mobile sont les mérangeoises de mon
maître et bien rarement l’ai-je vu pris de court dans la parlerie de bec à bec,
mais devant cette apostrophe hardie il resta coi un moment et comme il
considérait la Margot un peu à l’étourdie, celle-ci insista :
— Et pourquoi donc, Moussu Pierre ?
Mon maître, vous le savez, a une intime faiblesse qui lui
courre sous la peau dès lors qu’il s’agit des garces et je crois assez qu’il
n’y peut néant, sa raison s’égarant dès que le visage ou la silhouette de la
femelle font danser en sa tête déduits et fêtes charnelles. Je le voyais
balancer entre le devoir de sa mission et le plaisir de causer à la Margot
tandis que Samson s’étonnait du temps que son frère mettait à répondre, à tel
point que ce fut lui qui répondit à sa place.
— C’est à cheval que nous allons, Margot, et bien tu
vois que tu ne peux faire partie de cette équipée.
C’était là refus légitime, et nous aurions pu en rester à ce
stade, éperonnant nos chevaux pour repartir de l’avant. Mais mon maître ne
bronchait pas, et bien qu’il constatait que son frère était opposé au fol
projet de la Margot, il lui déplaisait de ne pas y accéder et de la laisser là
au milieu du chemin. Malin et rusé, mon maître l’a toujours été, et cette
occasion le démontra encore. Se soulevant de sa selle en poussant sur les
étriers, il se retourna vers moi.
— Miroul souffrirait-il d’avoir Margot en croupe ?
me demanda-t-il.
Et à l’évidence savait-il, en habile manipulateur, ce
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