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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Olivier Merle
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et belle mission tournât ainsi à la pantalonnade.
M. de La Porte, qui était assez fin pour le remarquer, cessa de rire,
et il dut, je crois, se forcer pour cela, puis s’adressa à mon maître en ces
termes :
    — Monsieur Pierre de Siorac, vous avez rempli la
mission qui vous a été confiée par votre père avec célérité et sérieux,
montrant ainsi toutes les nobles qualités qui sont les vôtres et dont vous
tirerez profit, je n’en doute pas, au cours de votre existence. Votre père
cherche à vous aguerrir, vous et votre joli frère Samson, et je lui donne
raison, même si pour cela il imagine des subterfuges qui sont du meilleur
cocasse.
    Se penchant sous le bureau, il ramassa la lettre et la posa
devant lui sur la table.
    — Souhaitez-vous que je vous lise cette lettre ?
    — S’il vous plaît, monsieur, répondit mon maître assez
roidement.
    — Bien, voici donc, dit M. de La Porte en se
penchant derechef sur la missive.
     
    Monsieur de La Porte,
    très estimé
lieutenant-criminel en la ville de Sarlat
     
    Vous recevez ce jour d’hui la
visite de mes deux fils, Pierre et Samson, qui seront accompagnés de leur
dévoué valet. Je ne doute pas que celui qui parlera et vous donnera cette
lettre sera mon fils Pierre, et que mon fils Samson, plus réservé de
nature, n’ouvrira mie la bouche.
    Cette lettre n’a aucun objet.
Considérez-la comme la balle qu’on lance au milieu de l’étang pour vérifier que
ses chiens fidèles et adorés sont capables d’y aller chercher et de la
rapporter.
    J’éprouve ainsi ces deux fils,
qui me sont fidèles et que j’adore, et que je destine à la conquête du vaste
monde. Ils sont jeunes encore et il me faut les sortir un peu de leur
basse-cour.
    Vous leur communiquerez la
réponse qui vous paraîtra appropriée.
    Votre dévoué et ami, Jean de
Siorac
    Baron de Mespech
     
    Ayant lu cette surprenante missive, M. de La Porte
considéra mon maître qui restait fermé comme une huître.
    — De grâce, monsieur de Siorac, ne le prenez pas mal,
dit-il. Il plaît à votre père cette sorte de facétie et je suis certain qu’il
n’y voit point malice, n’ayant trouvé autre stratagème afin que vous
considériez la mission avec tout le sérieux nécessaire. Sur cette lettre,
j’appose ma signature avec la mention Mission accomplie , et vous me
ferez le plaisir de la lui rapporter et donner en main propre.
    Il se leva, rendit la lettre à mon maître qui la prit du
bout des doigts, et nous donna notre congé.
    — Dites bien à votre père toute l’admiration que j’ai
pour lui et que je le mercie encore, et par ma personne toute la ville de
Sarlat, de nous avoir débarrassés de ces gueux de la Lendrevie et de ce
Forcalquier que le Diable asteure doit accueillir en son logis, d’autant que je
crois que votre père a perdu un homme dans cette affaire, ce qui est bien
triste en vérité mais rançon de ces temps troublés. Qu’il n’oublie pas de me
rendre visite à son prochain passage en notre cité, j’en serai toujours le plus
ravi et le plus honoré.
    Quand, à cheval, quittant les lieux, nous franchîmes les
portes de l’hôtel particulier, mon maître n’avait encore prononcé nulle parole
depuis qu’il avait serré la main de M. de La Porte. Il n’en proféra
aucune tant que nous fûmes en les murs de la ville, l’air malengroin et faisant
du renfrogné, le visage fermé et mâchonnant de sombres pensées. Je ne sais quel
aurait été mon émeuvement dans un prédicament semblable, s’agissant de mon père
et de la joie à le servir, et peut-être aurais-je réagi à l’identique, car on
tombe de haut quand on s’investit dans une noble mission et que celle-ci tourne
au ridicule. Et ridicules nous l’étions certainement, tous les trois, au moment
de sortir, la mine basse et déçue, du bureau de M. de La Porte.
     
    Certes, on ne peut tout dire et tout raconter dans ses
Mémoires, sinon on noircirait bien des volumes, mais il est des faits qui se
désagrègent du souvenir plus aisément que d’autres et qu’on ne retrouve plus,
même quand un témoin vous les rappelle. C’est pourquoi je ne suis mie étonné de
ne trouver nulle trace de cette équipée en la ville de Sarlat dans les fameuses
Mémoires de mon maître. D’un bilan le compte est vite fait, entre le traquenard
du gueux solitaire dont je l’avais tiré et le rire mortifiant de
M. de La Porte, pour mon maître, rien de tout cela ne rehaussait

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