L'avers et le revers
qui en saurait le remède
ou qui le manderait à son père ?
— Ainsi ai-je fait, Miroul, mais mon Pierre ne sut quoi
prédire, ni que penser de douleurs qui lui sont tout à plein déconnues.
— Et le baron qui est grand médecin et ne peut en
ignorer ni les causes ni la curation ?
— Il m’a vue, interrogée et palpée, et n’a rien dit de
bien éclairant à ce sujet, sinon qu’il souhaitait m’examiner de nouveau si la
chose empirait. De tout le temps que je suis restée en la librairie, il a gardé
un air froid et distant, comme emmuré dans des pensées autres, et je crains
fort que peu lui chaut mes souffrances.
Hélas, elle se trompait bien la petite Hélix, comme je le
sus par mon maître le soir même, car le baron n’avait usé de cette distance que
pour masquer son inquiétude, laquelle était vive, craignant une de ces
affections profondes qui progressent en dedans, sans grand signe extérieur,
sinon cette violente douleur à la tête.
— Et de remède n’a-t-il donc rien prescrit ?
— Si, quelques potions qu’il me faut ingurgiter et qui
sont si mauvaises que mon cœur se soulève rien que d’y songer.
— Et des effets ?
— Néant, le mal est là, Miroul, et se gausse bien de
toute cette médecine.
Je quittai la petite Hélix fort troublé de tout cela, mais
en voilà bien de la jeunesse que je n’ai plus, il lui suffit de s’éloigner des
misères du monde pour les oublier tout à plein, et ainsi étais-je à l’époque,
le soleil sortant à l’improviste de derrière un nuage suffisant à me
transporter hors des inquiétudes et angoisses qui vont s’accumulant en la
vieillesse. Mon maître, un jour, me dit à ce sujet qu’on devrait avoir vingt
ans sa vie durant, et mourir tout soudainement, un soir, sans s’en apercevoir.
Si l’idée est plaisante, je ne suis pas tant sûr d’y adhérer, car il me semble
que la maturité est un état à vivre aussi, qu’il a ses avantages, qu’il donne à
l’existence une autre perception, et que notre terrestre voyage ne serait point
complet si nous n’y goûtions également.
Au reste, il n’y avait pas que le soleil qui m’importait à
cette époque, car j’avais Margot en tête, et vous savez bien, lecteur et
lectrice, que rien n’est plus obsédant que le drôle ou la drôlette quand ils
s’invitent ainsi en votre pensement et désir, et qu’il y faut de grands et
imminents malheurs pour vous en détourner. Depuis notre équipée en Sarlat, je
n’avais mie revu l’appétente garce, ou en de si brefs instants, nous croisant
seulement et chacun vaquant à sa tâche, que d’une chevauchée inachevée j’en
appelais le complément. Un sourire vite entrevu dans un couloir du château, ou
un petit signe de la main donné du potager, nourrissent l’impatience plus
qu’ils ne la calment et, comme vous le savez, il est des âges où on peut guère
attendre bien longtemps, sinon à se dérouter de ce qui tarde, jusqu’à lorgner
même sur cette Gavachette qui ne demandait que cela.
Lors donc, je traînais mes guêtres négligemment, faisant ici
et là quelques inutiles détours dans le seul espoir d’entrapercevoir Margot
derechef, et nulle part ne la devinai, quand le destin s’en mêla d’une bien
significative manière. Me trouvant à l’inopinée en la salle commune, car à
l’aventure mon maître recevait sa leçon d’escrime – mais point ne me
souviens vraiment de ce détail – que Barberine se mit à crier sur ses deux
marmots qui s’accrochaient à sa robe, l’empêchant presque d’avancer. Cherchant
à se dégager, elle bouscula le petit Jacquou, lequel, tombant à la renverse les
pieds contremont, heurta de la nuque les dalles de la salle et se mit à
brailler si fort en sa douleur que Barberine, laissant tomber le paquet de linge
qu’elle tenait en main, s’agenouilla à son côtel afin que de le consoler. Mais
rien n’y fit, et le petit Jacquou, ayant compris là que sa mère enfin
s’occupait de lui et en devinant la raison – brave pitchoune –, se
mit à hucher plus fort encore à en rester inconsolable. Tant et si bien que
Barberine, qui ne pouvait être en même temps au four à linge des maîtres ni au
moulin à cris de son fils, me demanda de porter la pile de vêtements en la
chambre de M. de Sauveterre où, ajouta-t-elle, j’y retrouverais la
Margot qui nettoyait là-haut.
Il est des services qu’on s’empresse de rendre et celui-ci
était de ceux-là, surtout
Weitere Kostenlose Bücher