Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Olivier Merle
Vom Netzwerk:
partout,
même quand d’évidence il se trompe. Mais je dois reconnaître aussi que le baron
avait acquis en ses longues campagnes militaires de rudes connaissances, en
toutes choses, et cela je le constatai souvent, à tel point qu’il empiétait
allègrement, et sans ridicule aucun, sur le savoir de l’artisan, du maçon au
bourrelier ou du charpentier au forgeron.
    Et je compris mieux la raison qui avait si prestement
réconcilié le père et le fils après le cocasse épisode de la lettre à
M. de La Porte. D’une si capitale affaire que cette nouvelle
fortification, le baron avait délégué son fils à la carrière de Jonas pour en
être le premier émissaire lors même qu’elle occupait tout à plein ses
mérangeoises et le dévorait d’impatience. Que le projet fût d’importance, le
père n’avait guère eu de mal à le communiquer au fils, lequel l’avait reçu
comme tel, et de fierté retrouvée avait accepté avec l’enthousiasme que j’ai
dit d’aller ce matin-là rendre visite à Jonas. Si toutes les actions de notre
existence venaient à être éclairées de la sorte, nous en connaîtrions des tours
et des détours de nos heurs et malheurs, et plus encore, car je gage que
certains d’entres eux se jouent entre nos proches et hors notre présence.
     
    Pas plus tard que le lendemain, nous nous en retournâmes en
cette combe humide et grise, et aux tranchantes questions que mon maître posa à
Jonas, je n’eus point de peine à y lire la patte du baron qui, connaissant son
carrier et aimant à s’imposer à lui comme le capitaine Siorac à ses anciens
soldats, avait prodigué à son fils marche à suivre plus insistante. Pressé
jusqu’à la garde en son refus de donner la durée du chantier, Jonas, qui
s’était rendu à la palissade et avait évalué l’ampleur de l’ouvrage, finit par
lâcher, mais très à rebelute, quelques précisions sur le délai à y attendre.
Baillant toutes sortes de considérations sur la main-d’œuvre qu’il obtiendrait,
son nombre et son habileté, il en fit le pivot d’une estimation qui courait
entre six mois et un an et demi, ce à quoi je me dis que celle du baron était
la bonne, et qu’il fallait bien compter une année pleine afin que de remplacer
la palissade de bois par un beau mur à deux parements.
    Ce délai fut tenu, de mars 1564 à avril 1565, et
l’acharnement de Jonas à y travailler n’y fut pas pour néant, car l’Auvergnat
abattait en sa carrière un labeur herculéen qui tant me stupéfia à chacune de
nos visites, semblant défier la falaise, y arrachant des blocs gros comme un
bœuf qu’il roulait ensuite jusqu’à son rudimentaire atelier comme s’il
s’agissait d’un simple estoc de jeu de paume. À son côtel, les dix aides qu’on
lui avait attachés paraissaient autant d’enfants qui lui tournaient autour, se
mettant à trois là où ses seuls bras suffisaient.
    Dès que le chantier se déplaça de la carrière à la
palissade, le baron y vint journellement, avec mon maître, exigeant que la
palissade ne soit ôtée que partie par partie et incontinent remplacée par le
mur. Dès potron-minet, les hommes s’activaient, qui amenant les pierres, qui
fracassant la palissade, qui creusant la tranchée, qui y posant la semelle, qui
montant les deux parements, qui ajustant la blocaille, et ce jusqu’à n’y plus
discerner le visage de son voisin dans l’obscurité du crépuscule.
    Il y eut des blessés, et certains en furent estropiés, qu’il
fallut remplacer, car la pierre ne pardonne pas quand elle glisse des mains, et
elle brise l’os ou écrase la chair, en une seconde et nul espoir de guérison.
Le baron n’en avait cure, comme en ses campagnes militaires passées où l’homme
qui tombe sous la mitraille doit être remplacé, et où le combat ne laisse guère
de loisir à l’apitoiement. J’observai ces rudes méthodes, que je fus heureux en
ma vie de n’avoir point à utiliser, l’occasion ne m’en étant pas donnée et j’en
remercie le Seigneur, bien que je doive avouer qu’elles sont efficaces en
diable pourvu que les hommes ne pensent plus à eux mais seulement au but final.
Et à la vérité, en avaient-ils le choix les pauvres hères qui tels des forçats
besognaient céans, ayant femmes et marmots à nourrir, n’étant eux-mêmes que des
enfants de la misère.
    Quand l’œuvre fut achevée et – devrait-on dire –
le dernier estropié retourné en sa chaumière, il y eut comme une

Weitere Kostenlose Bücher