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Le Baiser de Judas

Le Baiser de Judas

Titel: Le Baiser de Judas Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hubert Prolongeau
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fumée, celui qui avait commercé avec toute
la haute société.
    Son errance était sans but. Il ne pensait même
pas à fuir la ville et ne parvint guère, comme par instinct, qu’à éviter de
repasser devant son ancienne maison. De marché en marché, de rue en rue, il
voguait, entrant parfois dans une boutique d’où il se faisait expulser
immédiatement, se mêlant à un groupe de vagabonds qui raillait son hébétude. Ses
pas l’amenèrent devant une synagogue, où la vigueur des chants l’attira. La
pièce était faiblement éclairée par des chandeliers aux bougies mourantes. À côté
de la vasque aux ablutions, un petit salon servait d’école. Un vieillard y
récitait la prière des dix-huit bénédictions. Judas joignit sa voix à ceux qui
chantaient. Puis vint la lecture d’un prophète. Il se recula vers le fond de la
pièce et s’absorba en lui-même pendant un long moment, laissant passer sans réagir
la bénédiction des Nombres.
    Seul le nom de Pilate éveilla en lui un écho. Deux
hommes évoquaient la cruelle répression de la manifestation devant le tribunal.
Toute une foule était allée y protester contre l’utilisation du trésor pour
financer l’aqueduc. Mais Pilate avait disséminé en son sein des hommes à lui, tous
armés de bâton. Au moment où la masse allait hurler son mécontentement, les
traîtres avaient provoqué une énorme bousculade, s’attaquant à ceux qui
paraissaient les plus virulents. On avait ramassé une quinzaine de morts et de
très nombreux blessés. Plusieurs femmes et enfants avaient été piétinés.
    Quelque chose se déchira en Judas. Il se
souvint du rôle qu’il avait joué dans ce désastre, des efforts qu’il avait
faits pour l’éviter, et il comprit pourquoi il en était arrivé, sale, désespéré,
à prier dans cet obscur local. Il avait trahi son dieu en tentant d’être
heureux, en acceptant l’inacceptable. Il avait cru pouvoir disposer de sa vie, allant
jusqu’à oublier ce pour quoi il était né. Le visage de son père crucifié revint
devant ses yeux, ce visage torturé auquel il n’avait plus pensé depuis des
années. Le jour où il avait engagé sa vie était celui où il avait recueilli les
derniers mots chutant d’une bouche tremblante, et non celui où il s’était
agenouillé devant le corps de sa femme. Il n’avait pas deux enfants à mener sur
le chemin de la vie, mais une nation à conduire sur la voie de la liberté. Il
lui avait fallu mourir à la cause puis y renaître par la douleur, cette douleur
tellement intense qu’il ne l’eût pas crue possible, pour le comprendre. Il n’avait
pas droit au bonheur. Son destin était écrit ailleurs, et son erreur avait été
de l’oublier. D’un coup, il sentit la haine déferler en lui à nouveau. Cela lui
procura une sorte de frisson sauvage, un désir fou de reprendre le combat, de
refaire du mal. Oui, il allait retrouver Barabbas et recommencer la lutte. Oui,
il n’allait plus vivre que pour elle, sans se laisser distraire. Plus jamais. Et,
dans sa tête lourde et affaiblie, il cria son serment pendant que le rabbin, là-haut
sur la table, dévidait ses rouleaux.
    Il sut trouver en lui les ressources pour se
reprendre, et regagna la maison de Jephté. Lavinia l’accueillit, un vêtement
déchiré à la droite du cœur en signe de deuil, s’écroulant dans ses bras, riant
puis pleurant. Personne ne savait ce qu’il était devenu. Certains le croyaient
même enfoui sous les décombres de sa maison.
    Quand Jephté et Malachie rentrèrent à leur tour,
il avait déjà empaqueté ses quelques affaires.
    « Je vais repartir. »
    Il dit cela sur un ton tellement affirmé qu’aucun
de ses interlocuteurs ne songea même à l’en dissuader.
    « Où cela ? demanda simplement
Jephté.
    — Je ne sais pas. Je ne peux plus rester
ici. Cette ville me rappelle trop le bonheur qui m’a été volé. Je ne
supporterais plus d’y vivre.
    — Mais comment te débrouilleras-tu ?
    — Je trouverai bien. Ne m’as-tu pas
appris tant de choses ? »
    Jephté s’arracha un triste sourire.
    « Et… Te reverrons-nous ?
    — Je ne le sais pas. J’ai été heureux
avec vous… »
    Il étouffa un sanglot. En prononçant ce mot, un
horrible sentiment de culpabilité l’avait à nouveau submergé.
    « Mais je… je ne peux plus rester à côté
de ce que fut ce bonheur. Comment te répondre ? J’espère qu’un jour je
serai capable de revenir. Je n’en suis pas

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