Le Baiser de Judas
avait effectivement promis à Bethsabée d’être
là tôt pour l’aider à organiser la petite fête de leur fils. Quand il lui
expliqua qu’il ne pouvait ni rester ni lui dire pourquoi, il lut l’inquiétude
dans ses yeux.
« Ne t’imagine rien. Je ne peux pas t’expliquer
pour le moment, mais tu n’as absolument rien à craindre. »
Il la prit dans ses bras et la serra si fort
qu’elle ne put s’empêcher de sourire à travers ses larmes.
« Je te promets que je vous rendrai au
centuple ce que je vous prends ce soir. Dis-le bien aux enfants. Cela ne m’amuse
pas de vous quitter. Mais je n’ai pas le choix. Vraiment pas le choix. Pardonne-moi.
Si j’ai un peu de chance, cela sera vite fait. »
Il partit, le cœur déchiré. Mais il ne pouvait
se dérober. Ses pas le conduisirent d’abord au marché, puis vers les tavernes
où il avait rencontré Barabbas. Personne ne l’y avait vu. Il se heurta aux
pauvres, aux mendiants, à un soldat romain totalement seul que les gens
regardaient passer avec des regards haineux. Il sentait que ses habits trop
riches le desservaient et qu’on ne lui faisait pas confiance.
La chance lui sourit après trois heures de
quête. Dans un tripot, il trouva celui qu’il cherchait. Barabbas jouait aux dés
en buvant. Quand il aperçut Judas, il fit celui qui ne l’avait pas vu. Bien que
bouillant d’impatience, Judas comprit et s’installa par terre, après avoir
demandé un verre de vin.
Barabbas termina sa partie et se leva. Ses
compagnons protestèrent contre son départ, mais il prétexta la fatigue et la
montée de l’alcool pour s’éclipser sur un gros rire.
Judas le suivit, et le rattrapa dans une
ruelle qu’aucune lumière n’éclairait.
« Qu’est-ce qui te prend ? Tu es fou ?
Il ne faut surtout pas qu’on nous voie ensemble, et tu te ramènes vêtu comme un
prince en me cherchant partout, car je suppose que tu n’es pas tombé par hasard
sur cet endroit…
— Crois-tu que j’aurais pris de tels
risques sans bonnes raisons ?
— J’espère qu’elles le sont. Je t’écoute. »
Toute trace d’ivresse avait disparu de la voix
de Barabbas, redevenu soudain le chef que Judas avait toujours connu.
« Je viens d’apprendre que Pilate a eu
vent de nos projets. Demain, il y aura des hommes à lui disséminés dans la
foule. Si tu tentes quelque chose, vous êtes coincés.
— Tu en es sûr ?
— Quasiment. Jephté a entendu deux
Romains de l’Antonia en parler. »
De rage, Barabbas frappa violemment du poing
dans le mur.
« Que pouvons-nous faire ?
— Remettre.
— Mais trop de gens sont prévenus. Et une
occasion pareille ne se reproduira jamais. Pourtant… »
Barabbas se prit la tête dans les mains, gémissant.
« Il faut annuler. Essaie de prévenir de
ton côté autant de gens que tu le peux. J’en ferai autant du mien. Nous n’avons
pas beaucoup de temps.
— Tu renonces donc ?
— Pour le moment, oui. Ai-je le choix ?
Nous renaissons à peine, nous ne pouvons courir le moindre risque. Pars, et
fais vite. Bonne chance. »
Judas était déjà parti quand Barabbas le
rappela.
« Judas ?
— Oui ?
— Merci. »
Judas passa le reste de la nuit à tenter de
prévenir les uns et les autres du piège tendu par les Romains. Il eut très peur,
car il n’arriva à trouver Archépios qu’au petit matin. Quand il l’eut alerté, épuisé,
il décida de rentrer chez lui, espérant que de son côté Barabbas avait mené sa
tâche au mieux.
Il vit la lueur
rouge dans le ciel alors qu’il n’était plus qu’à cinq minutes de chez lui. Les
incendies étaient fréquents à Jérusalem et tous craignaient qu’un jour l’un d’entre
eux embrase tout un quartier et ne soit plus contrôlable.
Un vague pressentiment lui fit presser le pas.
Quand il entra dans sa rue, il vit une foule
de gens qui, des seaux et des bassines à la main, faisaient la queue depuis la
fontaine pour tenter de réduire un brasier énorme.
Il réalisa que le rougeoiement qui déchirait
la nuit venait de sa maison.
Il s’élança, hurlant le nom de sa femme et de
ses enfants.
Et quand il fut sûr que seul le crépitement
des flammes lui répondrait, il s’écroula.
CHAPITRE 14
Il ne retourna pas chez Jephté. Plusieurs
jours durant, il traîna dans les rues, mangeant au hasard ce qu’il trouvait par
terre ou mendiait aux gens. Nul n’aurait pu reconnaître, dans cet homme hagard,
au visage et aux bras noircis par la
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