Le Bal Des Maudits - T 1
Nerveusement.
– Va-t’en ! dit-elle.
Elle regarda autour d’elle, d’un air effrayé, et parla d ans un souffle.
– Que se passe-t-il ? questionna Christian d’une voix implorante. Qu’est-ce que je t’ai fait ?
Elle se remit à marcher, sans répondre. Il marcha à son côté, légèrement en arrière.
– Gretchen, chérie…
– Écoute, dit-elle. Va-t’en ! Ne reviens pas. Est-ce clair ?
– Il faut que je sache, insista-t-il. Qu’est- ce que c’est ?
– Il ne faut pas qu’on me voie te parler.
Elle regardait droit devant elle.
– C’est tout. Maintenant, va-t’en ! Tu as passé une permission agréable, et elle se termine dans deux jours. Retourne en France et oublie tout ça.
– Je ne peux pas, dit-il. Il faut que je te parle. Où tu voudras, quand tu voudras.
Deux hommes sortirent d’une boutique, sur le trottoir d’en face, et marchèrent parallèlement à eux, dans la même direction.
– D’accord, dit Gretchen. Chez moi. Ce soir, à onze heures. N’entre pas par la grande porte. Monte par l’escalier de service. D’entrée est dans la rue perpendiculaire. La porte de la cuisine sera ouverte. Je serai là.
– Entendu, dit Christian. Merci. À ce soir.
– Laisse-moi, maintenant.
Il s’arrêta, et la regarda partir sans se retourner, de son pas nerveux et sec, encore accentué par les bottes et le manteau de pluie. Il retourna lentement à son hôtel, se jeta sur son lit, sans se déshabiller, et essaya de dormir.
À onze heures, ce soir-là, il monta par l’escalier de service. Gretchen écrivait, assise à une table. Elle se tenait très droite, dans une robe de lainage vert et ne se retourna même pas lorsque Christian entra dans la pièce. « Seigneur, pensa-t-il, on dirait le lieutenant. » Il s’approcha d’elle, sans bruit , et posa un baiser sur ses cheveux parfumés.
Gretchen cessa d’écrire et se retourna. Son visage était froid et sérieux.
Tu aurais dû me le dire, lui reprocha-t-elle.
– Te dire quoi ? demanda-t-il.
Tu as bien failli me fourrer dans un sale pétrin, continua-t-elle.
Christian s’assit lourdement.
– Qu’ai-je donc fait de si grave ?
Gretchen se leva et se mit à marcher de long en large.
– Ce n’est pas chic de m’avoir laissée faire tout ça, dit-elle.
– Faire quoi ? cria-t-il. De quoi es-tu en train de parler ?
– Ne crie pas, gronda Gretchen. Dieu seul sait qui nous écoute.
– J’aimerais, chuchota Christian, que tu me dises ce qui est arrivé.
Gretchen se planta devant lui.
– Hier après-midi, dit-elle, la Gestapo a envoyé un homme à mon bureau.
– Oui ?
– Auparavant, ils étaient allés voir le général Ulrich, enchaîna-t-elle d’un ton significatif.
Christian secoua la tête, d’un air las.
– Au nom du ciel, qui est le général Ulrich ?
– Mon ami, répliqua Gretchen, mon excellent ami, qui est probablement dans un fichu pétrin, à cause de toi.
– Je n’ai jamais vu le général Ulrich, protesta Christian.
– Baisse la voix !
Gretchen gagna le buffet et se versa quatre doigts de cognac. Elle n’en offrit pas à Christian.
– Je suis idiote de t’ avoir laissé venir ce soir.
– Qu’est-ce que le général Ulrich a à voir avec moi ? demanda Christian.
– Le général Ulrich, dit-elle délibérément, après avoir bu une large gorgée de brandy, est l’homme qui a essayé de te faire nommer à Berlin.
– Et alors ?
– La Gestapo lui a dit hier que tu étais un suspect communiste, dit Gretchen, et ils voulaient savoir quels liens l’unissaient à toi, et pourquoi il s’intéressait tellement à toi.
– Que veux-tu que je te dise, rétorqua Christian. Je ne suis pas communiste. Je suis membre du parti nazi autrichien depuis 1937.
– Ils le savent, coupa Gretchen. Ils savent aussi que tu as appartenu au parti communiste autrichien, de 1932 à 1936. Ils savent aussi que tu as cherché des histoires à un commissionnaire régional nommé Schwartz, juste après l’Anschluss. Ils savent aussi que tu as été l’amant d’une Américaine qui avait vécu à Vienne, en 1937, avec un Juif socialiste.
Abasourdi, Christian se renversa sur le dossier de sa chaise. « La Gestapo, pensa-t-il, fantastique à quel point ils peuvent être méticuleux… et inexacts. »
– Tu es en observation, dans ta compagnie, dit Gretchen. Ils reçoivent chaque mois un rapport qui te
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