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Le Bal Des Maudits - T 1

Le Bal Des Maudits - T 1

Titel: Le Bal Des Maudits - T 1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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ça.
    Il quitta Bruce, qui venait de retomber dans un sombre silence prophétique, appuyé sur le manche de son aspirateur, au milieu de la pièce.
    À l’extérieur, de l’autre côté de la rue, sur un espace de terrain nettement surélevé par rapport au reste de la chaussée, Michael aperçut deux camions mili taires, un canon antiaérien et des soldats en armes fort occupés à creuser le sol. Ce canon qui pointait vers le ciel son long tube muselé, ces soldats qui creusaient un emplacement, comme s’ils étaient, déjà, sous le feu de l’ennemi, parurent à Michael irrésistiblement saugrenus et comiques. Cela aussi devait êt re un phénomène local. Il était impossible de croire que partout ailleurs, dans le pays, l’armée prenait ces mêmes mesures mélodramatiques. Et, de toute manière, soldats et canons avaient toujours donné à Michael, comme à la plupart des Américains, l’impression d’instruments bizarres, destinés à une sorte de jeu pour adultes, compliqué, absurde et plutôt ennuyeux. Et ce canon, parmi tant d’autres, avait été planté entre une lessive étendue au soleil – bas, culottes et soutien-gorge – et la porte d’un bungalow espagnol, avec la bouteille de lait sur les marches du perron.
    Michael se dirigea vers le drugstore du Wilshire Boulevard, où il prenait habituellement son petit déjeuner. Des gens faisaient la queue devant la banque du coin, attendant l’ouverture des portes. Un jeun e po l iceman assurait le service d’ordre, criant de temp s à autre :
    –  Gardez vos places, mesdames et messieurs. Et ne vous inquiétez pas. Vous aurez tous votre argent.
    Curieusement, Michael s’approcha du policeman.
    –  Qu’est-ce qui se passe ? s’informa-t-il.
    Le policeman lui jeta un regard méfiant.
    –  À la queue, monsieur, dit-il en désignant l’endroit correspondant.
    –  Je ne veux pas entrer là-dedans, protesta Michael , je n’ai pas d’argent dans cette banque… Ni dans aucune autre banque, d’ailleurs, conclut-il en souriant.
    Le policeman lui rendit son sourire, comme si cette expression de pauvreté avait soudain fait d’eux les meilleurs amis du monde.
    –  Ils récupèrent le leur, expliqua-t-il en désignant la queue, avant que les bombes tombent sur les coffres-forts.
    Michael examina les gens qui faisaient la queue. Ils le regardaient avec hostilité, comme s’ils soupçonnaient quiconque parlait au policeman de conspirer contre la sécurité de leurs comptes en banque. Tous étaient bien vêtus, et il y avait de nombreuses femmes parmi eux.
    –  Ils partent tous vers l’est, dès qu’ils ont les poches pleines, reprit le policeman. Je crois savoir, continua-t-il d’une voix forte, pour que toute la queue puisse l’entendre, je crois savoir que dix divisions Japonaises viennent de débarquer à Santa Barbara. À partir de demain, la Banque d’Amérique va être utilisée comme quartier général par l’état-major japonais.
    –  Je vais vous signaler, cria au policeman une dame austère et mûre, en robe et chapeau de paille bleue. Vous allez voir si je ne vous signale pas !
    –  Je m’appelle MacCarty, madame, répliqua aimablement le policeman.
    Michael sourit et repartit vers son déjeuner. Quelques-unes des vitrines devant lesquelles il passait étaient déjà garnies de rubans de toile gommée, pour préserver des éclats l’argenterie et les robes du soir exposées sur leurs étagères. « Les riches, pensa Michael, sont plus sensibles au désastre que les autres. Ils ont davantage à perdre et courent plus vite. Jamais un homme pauvre n’aurait l’idée de quitter la Côte Ouest sous prétexte que la guerre fait rage quelque part dans le Pacifique. Non par patriotisme, non par fatalisme, mais simplement parce qu’il ne pourrait pas se le permettre. » En outre, les riches avaient l’habitude de payer les autres pour faire leurs travaux manuels et leurs sales besognes, et la guerre était le travail le plus sale et le plus dur qui soit. Il pensa au jardinier, qui vivait en Amérique depuis quarante ans, à Bruce, ivre de gin et de prophéties, dont le grand-père avait été affranchi en Caroline du Sud, en 1863 ; à l’expression avide, anxieuse, hostile, des femmes qui faisaient la queue, devant la banque ; à lui-même, assis sur le bord du lit rose, plus tourmenté par ses impôts et la pension alimentaire de Laura que par les problèmes auxquels devait faire face la nation. « Sont ce

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