Le Bal Des Maudits - T 1
belles filles de sa terre natale, entre les draps douillets de la civilisation, tandis que lui-même sue, et pleure, et meurt au loin, dans la boue d’une terre inconnue… »
Michael éprouva une impulsion démente de se lever et de rejoindre le sergent, au bar, et de lui dire : « Écoute un peu. Je sais ce que tu penses. Mais tu as tort de le penser. Je ne passerai pas la nuit avec cette femme. Ni cette nuit, ni aucune autre nuit. Si c’était en mon pouvoir, je te l’enverrais cette nuit. Je te jure que je te l’enverrais. » Mais c’était impossible. Il ne pouvait pas faire ça. Il ne pouvait que rester là, assis et la conscience coupable, comme s’il venait de recevoir une récompense méritée par quelqu’un d’autre. Et il sut, soudain, que son esprit avait trouvé encore autre chose pour lui empoisonner l’existence ; il sut, soudain, que chaque fois qu’il entrerait dans un restaurant avec une belle fille et qu’il apercevrait au bar un soldat solitaire, sa conscience le lui reprocherait ; il sut que, chaque fois qu’il toucherait une femme avec tendresse ou simple désir, il aurait l’impression de l’avoir achetée avec le sang de quelqu’un d’autre.
– Michael, dit doucement Laura, l’observant en souriant par-dessus le bord de son verre. Que fais-tu ce soir ? Tard ?
Michael cessa de regarder le sergent.
– Je travaille, dit-il. As-tu fini ton verre ? Il faut que je parte.
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L E vent rendait l’attente insupportable.
Christian se retourna lourdement, sous sa couverture, tenta d’humecter ses lèvres craquelées, sentit des grains de sable rouler sous sa langue. Le vent prenait par poignées le sable qui recouvrait les roches et vous les jetait au visage, méchamment, dans les yeux, dans la gorge et jusque dans les poumons.
Christian s’assit lentement, se serrant dans sa couverture. Le jour commençait tout juste à se lever, et l’impitoyable froid de la nuit enserrait toujours le désert. Il claquait des dents et bougea pour se réchauffer, sans se lever, tous les membres endoloris.
Quelques-uns des hommes dormaient vraiment. Christian les regarda avec un étonnement haineux. Juste au-dessous du sommet de l’arête rocheuse étaient postés Hardenburg et cinq de ses hommes. Hardenburg observait le convoi, les jumelles collées aux yeux ; seul son front dépassait la crête des roches. Chaque muscle du corps de Hardenburg, malgré le volume de son épaisse capote, était alerte, prêt à l’action. « Il ne dort donc jamais ? pensa Christian. Si seulement il pouvait se faire tuer dans les dix minutes à venir. » Christian jongla un instant avec cette idée merveilleuse et soupira. Aucune chance , i ls se feraient peut-être tous tuer aujourd’hui, mais pas Hardenburg. Il suffisait de le regarder pour se rendre compte qu’il serait toujours vivant, à la fin de la guerre …
Himmler quitta sa position, à droite de Hardenburg, et rampa doucement vers Christian, en prenant bien soin de ne soulever aucune poussière. Il secoua les dormeurs, l’un après l’autre, et leur murmura quelque chose à l’oreille. Ils se mirent à remuer avec des gestes lents, mesurés, comme s’ils se fussent trouvés à l’intérieur d’une pièce obscure encombrée de bibelots fragiles.
À quatre pattes, Himmler rejoignit enfin Christian. Délibérément, il ramena ses genoux devant lui et s’assit dans le sable.
– Il veut vous parler, chuchota-t-il, bien que le convoi anglais se trouvât à plus de trois cents mètres.
– J’y vais, dit Christian sans bouger.
– Il va nous faire tous descendre, grogna Himmler.
Il avait beaucoup maigri. Son visage était blême , sous sa barbe, son regard, traqué et désespéré. Il n ’avait pas plaisanté ni fait le clown à l’usage des officiers depuis que le premier obus avait éclate, trois mois auparavant, au-dessus de sa tête, à quelques kilomètres de Bardia. C’était comme si un autre homme, un cousin plus maigre et dépourvu de tout sens de l’humour, avait pris possession du corps du sergent Himmler depuis son arrivée en Afrique, tandis que, chaudement calfeutré dans quelque bureau d’Europe, le fantôme rond et jovial de l’ancien Himmler attendait patiemment, pour eu reprendre possession, le problématique retour du corps du sergent.
– Il n’a pas cessé d’observer les Tommies, chuchota Himmler, ni de fredonner depuis leur arrivée.
– De fredonner ?
Christian
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