Le Bal Des Maudits - T 1
les quatre-vingts Anglais de l’autre côté de cet abri précaire, avait éprouvé la résistance nerveuse de tous les hommes. Les deux voitures de reconnaissance et la chenillette étaient tout juste ravis aux regards par la petite élévation de terrain. Si un appareil de la R. A. F. a pparaissait dans le ciel et descendait pour examiner la situation, ils seraient tous perdus. À chaque instant, comme ils l’avaient fait la veille, les hommes levaient nerveusement les yeux vers le ciel clair, sans limites, où s’enflait progressivement les premières lueurs de l’aube. Par bonheur, ils avaient le soleil dans le dos , et, pendant encore un certain temps, il serait à peu près impossible aux Britanniques de les repérer dans l’éclat aveuglant du soleil.
C’était la troisième patrouille à travers les lignes ennemies qu’ils avaient opérée en moins de cinq semaines, sous la conduite de Hardenburg. Christian était sûr que le lieutenant devait toujours se porter volontaire pour ce genre de missions. Le front, dans cette région désertique, n’était qu’une succession de petits avant-postes et de patrouilles errantes, rien qui ressemblât aux concentrations massives de la zone côtière, avec ses routes précieuses et ses points d’eau, solidement protégés par une artillerie considérable et les raids inlassables de l’aviation ennemie.
Ici régnait une sensation de calme trompeur, l’impression perpétuelle d’un désastre imminent.
« Sur un certain plan, pensa Christian, c’était mieux pendant la dernière guerre. Le massacre était horrible, dans les tran chées, mais tout était organisé. Le ravitaillement et les dangers mêmes arrivaient par des voies régulières et connues. Et dans une tranchée, se dit amèrement Christian en s’approchant du lieutenant, qui avait repris ses jumelles et son poste d’observation, les hommes n’étaient pas à la merci d’un vain chercheur de gloire comme celui-là. Vous verrez, pensa Christian, qu’en 1960, ce cinglé sera à la tête du Haut Commandement allemand. Dieu vienne alors en aide au soldat allemand ! »
Christian se laissa tomber à plat ventre auprès du lieutenant, gardant soigneusement sa tête au-dessous de la ligne d’horizon.
– Tout est prêt, mon lieutenant, dit-il.
– Parfait, dit Hardenburg, sans se retourner.
Christian ôta son calot, et, lentement, très lentement, leva la tête, jusqu’à ce que ses yeux affleurent la crête.
Les Anglais étaient en train de faire du thé. Une douzaine de feux brûlaient dans des boîtes de conserves garnies de sable saturé d’essence. Les hommes, groupés autour des feux, attendaient, leur tasse de métal émaillé à la main. Le soleil se reflétait sur cet émail blanc et donnait aux groupes immobiles une sorte de vie grouillante, insolite. Ils semblaient tout petits, au milieu du désert. Leurs voitures et leurs camions jaune sable ressemblaient à des jouets abîmés.
Il y avait un homme de service à chacune des mitrailleuses pivotantes montées sur les cabines des camions. Mais, en dehors de ces guetteurs, la scène avait une allure de pique-nique. Les couvertures sur lesquelles les hommes avaient dormi gisaient toujours autour des véhicules et, çà et là, Christian distinguait d es soldats en train de se raser, trempant négligemment leurs blaireaux dans des tasses à demi pleines d’eau. « Ils doivent en avoir beaucoup, pour la gâcher de cette façon », pensa machinalement Christian.
Il y avait six camions. Quatre découverts et chargés de caisses de vivres, et un seul bâché. Des munitions, probablement. Leurs fusils sous le bras, les sentinelles s’étaient approchées des feux, elles aussi. « Ils doivent tellement se sentir en sécurité, songea Christian, à plus de trente milles derrière leurs propres lignes, en route vers les postes du sud. Ils n’ avaient pas creusé de trous pour eux-mêmes, et il n’y avait de couvert nulle part, sauf derrière les camions. Il était incroyable que quatre-vingts hommes puissent se mouvoir aussi longtemps et avec autant d’insouciance à portée des armes d’un ennemi qui n’attendait poux les anéantir que le geste d’une seule main. C’était grotesque de les laisser se raser et faire du thé. S’il fallait absolument que ces hommes meurent, autant les tuer maintenant. »
Christian regarda le lieutenant. Il souriait un peu et fredonnait, comme Himmler l’avait dit. Son sourire était
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