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Le Bal Des Maudits - T 1

Le Bal Des Maudits - T 1

Titel: Le Bal Des Maudits - T 1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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étaient vulnérables et solitaires et combien il avait besoin d’eux…
    Ils passèrent à proximité de l’officier qui gisait, pantalon bas, visage contre terre. Sa chair était frêle et pâle et avait un air de surprenante aristocratie.
    Hardenburg ricana.
    –  Vous vous souvenez, demanda-t-il, vous vous souvenez de quoi il avait l’air, accroupi sur son trou, quand les premiers coups de feu ont retenti ? Et de quoi il avait l’air quand il a essayé de courir, de prévenir ses hommes et de retenir son pantalon en même temps ? Un capitaine des forces d e Sa Majesté… Je parie qu’ils ne lui avaient jamais enseigné la manière de se sortir d’une situation pareille, à Sandhurst.
    Hardenburg rit. Et, tandis qu’il riait, la drôlerie de ce souvenir le frappa encore davantage, et il dut s’arrêter, plié en deux, les mains aux genoux, dans le roulement démentiel de son rire.
    Christian n’avait pas eu envie de rire, mais la nuit avait soumis ses nerfs à une trop rude épreuve. Le rire le gagna, progressivement, et il dut s’arrêter, à son tour. Voyant rire leur lieutenant et leur sergent, les cinq hommes s’esclaffèrent. Puis la contagion devint trop forte, et finalement, Christian et Hardenburg, et les cinq hommes qui les avaient accompagnés, et les six hommes restés avec le mortier et les mitrailleuses sur la crête, rirent ensemble dans le vent, et leur rire balaya le sol ensanglanté, les cadavres paisibles, les feux mourants, les armes éparses, les camions incendiés et l’homme assis au volant de l’un d’eux, avec la tête presque séparée du tronc et son dentier pendant sur ses lèvres tordues.

11
     
     
     
    L E train roulait lentement parmi les collines blanches du Vermont. Assis près de la fenêtre gelée, Noah avait dû enfiler son manteau, car le système de chauffage du wagon s’était arrêté de fonctionner. Il n’avait pu obtenir une couchette, parce que le train était déjà bondé, et il se sentait raide et sale. L’eau avait gelé dans les toilettes. Il n’avait même pas pu se raser. Il passa la main sur ses joues où la barbe poussait, noire et drue. Il savait que ses yeux devaient être injectés de sang, son col, souill é de noir de fumée. « La manière idéale de me présenter à sa famille », pensa-t-il.
    Chaque mille augmentait son incertitude. À la gare précédente, où ils s’étaient arrêtés un quart d’heure, il y avait eu un autre train en route pour New York, et il avait dû repousser la folle impulsion de quitter le sien et d’y sauter. L’inconfort du voyage, le froid, les ronflements des passagers endormis, le spectacle des collines austères, grises sous la neige de Noël, avaient peu à peu ébranlé sa confiance. « Ça ne marchera jamais, se disait-il, il est impossible que tout se passe bien. »
    Hope était partie avant lui pour préparer le chemin. Il y avait deux jours qu’elle était arrivée, maintenant, et, à l’heure actuelle, son père devait savoir qu’elle allait se marier et qu’elle allait se marier avec un Juif. « Tout s’est bien passé, se répéta Noah avec un optimisme qu’il était loin d’éprouver. Autrement, elle m’aurait envoyé un télégramme. Elle m’a laissé venir ; donc, tout s’est bien passé… »
    Après son rejet de l’armée, Noah avait décidé de réorganiser sa vie d’une façon aussi rationnelle et aussi utile que possible. Il avait commencé par passer trois ou quatre soirées par semaine, à la bibliothèque publique, à étudier des épures de constructions maritimes. Des navires, hurlaient les journaux et la radio, des navires, et toujours des navires. Ils l’avaient jugé incapable de combattre, soit, mais il pouvait encore construire. Jamais de sa vie il n’avait étudié une épure ; il n’avait pas la moindre idée de ce que pouvaient être les procédés modernes de soudure et de rivetage et, selon les autorités en la matière, il fallait des mois et des mois pour apprendre l’une ou l’autre de ces spécialités ; mais il étudiait avec une sorte de rage froide, apprenant par cœur des textes compliqués, s’obligeant à reconstituer de mémoire des plans et des schémas industriels. Les livres étaient ses amis, et il apprenait rapidement. Dans un mois, il le sentait, il pourrait se présenter dans un chantier de constructions maritimes et s’y frayer un chemin à coups de bluffs.
    Dans l’intervalle, il y avait Hope. Sa conscience lui

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