Le Bal Des Maudits - T 1
étaient descendus dans un hôtel d’une propreté agressive, avec un drapeau américain planté au centre de sa pelouse. Ils mangeaient des coquillages et de la langouste. Ils s’étendaient sur le sable clair et nageaient dans les eaux agitées et froides et allaient au cinéma le soir, s’abstenant de commenter les actualités ou d’ajouter quoi que ce soit à la voix sonore qui décrivait les défaites, et les victoires, et les massacres dont l’écran recevait l’image. Ils louaient des bicyclettes et roulaient doucement sur les routes côtières et riaient lorsque passait un camion chargé de soldats qui sifflaient en regardant les jolies jambes de Hope et criaient à Noah.
– Tu ne dois pas t’embêter, frangin. Quand est-ce que tu nous rejoins ?
Leurs nez pelaient, le sel engluait leurs cheveux, et leur peau, lorsqu’ils se glissaient ensemble, le soir, dans les draps immaculés de leur chambre, sentait le soleil et, l’océan. C’était à peine s’ils parlaient à qui que ce soit et, aussi loin qu’ils pensaient à regarder en arrière, il leur semblait avoir toujours vécu ainsi, sur les routes sablonneuses, dans le reflet du soleil d’été, sur les vagues changeantes et sous les étoiles des frais soirs d’été que traversait une brise venue du Vineyard et du Nantucket et d’un océan paisible uniquement dérangé par les mouettes et les voiles des petits bateaux et les clapotis des poissons volants.
Puis les deux semaines se terminèrent, et ils regagnèrent la ville, dont les habitants leur parurent blêmes et accablés par la saison, alors qu’eux-mêmes se sentaient forts et en bonne santé.
Hope prépara le café à six heures, le matin du départ de Noah. Assis face à face, ils burent le liquide brûlant, dans les énormes tasses qui constituaient leur premier achat de matériel ménager . Hope parcourut ensuite, avec Noah, les rues paisibles, où errait encore le souvenir de la fraîcheur nocturne, jusqu’au triste baraquement qui était le but de leur course matinale.
Ils s’embrassèrent, pensifs, déjà séparés l’un de l ’autre, et Noah rejoignit à l’intérieur le groupe muet d’hommes et de jeunes gens agglomérés autour du bureau du rond-de-cuir d’âge mûr qui servait sa patrie en se levant de bonne heure deux fois par mois, pour donner les dernières instructions civiles et les tickets gratuits de chemin de fer aux hommes appelés sous les drapeaux.
Noah ressortit avec une cinquantaine d’autres conscrits et marcha avec eux jusqu’à la station de métro. Les passants en route pour leurs bureaux ou leurs magasins, pour le marché quotidien et les mille exigences banales de la vie, les regardaient avec une curiosité non exempte d’un certain respect, comme ils auraient regardé passer des pèlerins étrangers, en voyage vers quelque fête religieuse et obscure.
Noah revit Hope, en face de la station de métro. Elle était debout devant la boutique d’un fleuriste. Le fleuriste était un vieillard qui disposait lentement d’énormes pots de géranium dans sa vitrine. Hope portait une robe bleue parsemée de fleurs blanches. Le vent du matin plaquait doucement sa robe contre son corps, devant la vitrine fleurie. À cause du soleil qui se reflétait dans la glace de la devanture, Noah distinguait à peine son visage. Il fit un pas sur la chaussée, mais le guide assigné au groupe par l’homme de la commission se mit à crier anxieusement : « Restez ensemble, les enfants, ne vous dispersez pas ! » Et Noah pensa : « Que me dirait-elle, que lui dirais-je à présent ? » Il agita la main. Elle leva son bras nu, une seule fois. Dans l’ombre projetée sur son visage, par ce simple mouvement, Noah vit qu’elle ne pleurait pas.
« Qu’est-ce que tu dis de ça, pensa-t-il, elle ne pleure pas ! » Et il descendit dans le métro, entre un garçon du nom de l’empesta et un Espagnol de trente-cinq ans, qui s’appelait Nuncio Aguilar.
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L A femme rousse qu’il n’avait pas embrassée quatre ans auparavant se pencha vers Michael, dans son dernier rêve, sourit et l’embrassa sur la bouche. Il s’éveilla, se souvenant clairement du rêve et de la femme rousse.
Le soleil matinal s’infiltrait tout autour du store baissé, encadrant les fenêtres d’une poussière dorée. Michael s’étira.
À l’extérieur, il entendait le murmure des sept millions d’êtres humains marchant à travers les rues et les
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