Le Bal Des Maudits - T 1
corridors de la ville. Michael se leva, s’approcha de la fenêtre, pieds nus, sur l’épais tapis, et releva les stores.
Le soleil emplissait les jardins de sa richesse estivale, brillait paisiblement sur les briques fanées des vieux immeubles, sur le lierre poussiéreux, sur les stores rayés des petites terrasses garnies de sièges d’osier et de plantes en pots. Une petite femme ronde, avec un immense chapeau et une vieille salopette trop large qui pendait gaiement sur son gros derrière, examinait un géranium, sur la terrasse d’en face. Soudain, elle se pencha et coupa une fleur.
Elle regarda un instant la fleur desséchée qu’elle tenait étalée sur sa paume, et son chapeau s’agita tristement. Puis elle tourna les talons, écarta les rideaux de la porte-fenêtre et pénétra dans la maison.
Michael sourit, heureux que le soleil brille, que la femme rousse l’ait finalement embrassé et qu’il y ait eu face, de l’autre côté, des jardins ensoleillés, une petite femme d’un certain âge, avec un derrière absurdement gai, en train de se lamenter sur le sort de ses géraniums.
Il se lava, s’aspergea d’eau glacée, puis, toujours pieds nus, traversa le salon, ouvrit la porte d’entrée et ramassa le Times.
Dans les colonnes courtoises du Times, qui rappelaient toujours à Michael les discours de quelque vieux président de Conseil d’administration optimiste et prospère, les Russes mouraient, mais tenaient leurs positions, en première page, les bombes anglaises allumaient de nouveaux incendies sur les côtes de France ; l’Égypte chancelait, quelqu’un avait découvert un nouveau moyen de fabriquer du caoutchouc en sept minutes, trois navires avaient coulé tranquillement, dans l’Atlantique, on annonçait des restrictions sur la viande ; les hommes mariés pouvaient désormais s’attendre à être appelés sous les drapeaux, une légère accalmie régnait sur le front japonais.
Michael referma la porte, se laissa tomber sur le canapé, se détourna du sang de la Volga, des noyés de l ’Atlantique, des troupes d’Égypte aveuglées par le sable, des fabricants de caoutchouc, des flammes de France, des restrictions sur le roast-beef, et passa à la page sportive. Malgré la guerre, malgré leur fatigue et leur manque de technique, les « Dodgers » avaient gagné à Pittsburg …
Le téléphone sonna. Il retourna dans la chambre à coucher et décrocha le récepteur.
Il y a un verre de jus d’orange dans le frigidaire, dit la voix de Peggy. J’ai pensé que ça vous ferait plaisir.
– Merci, dit Michael. Mais j’ai remarqué que les livres n’avaient pas été époussetés, sur l’étagère de droite, mademoiselle Freemantle…
– Zut ! dit Peggy.
Il y a du vrai dans ce que vous dites, commenta Michael, enchanté d’entendre la voix de Peggy. Est-ce qu’ils vous font travailler très dur ?
– Je n’ai plus que la peau et les os . Tu ne t’en faisais pas, ce matin, lorsque je t’ai quitté. Étalé mit le dos , avec toutes les couvertures par terre. Je t’ai embrassé avant de partir.
– Quelle générosité ! Et qu’ai-je fait, alors ?
Il y eut un court silence, et Peggy répondit, d’une voix, légèrement troublée :
– Tu as levé les mains vers ton visage, en grognant : « Non, je ne veux pas… »
Le demi-sourire qui errait sur le visage de Michael disparut subitement. Il se gratta l’oreille, l’air songeur.
– L’homme qui dort trahit ses secrets… plaisanta-t-il.
Tu paraissais effrayé, dit Peggy. Tu m’as effrayée aussi.
Non, je ne veux pas, murmura Michael. J’ignore absolument ce que je ne voulais pas… Enfin, je ne suis plus effrayé, maintenant. Le soleil brille, les Dodgers ont gagné, et ma Peggy m’a préparé un jus d’orange…
Qu’est-ce que tu as l’intention de faire aujourd’hui ? demanda Peggy.
– Rien de spécial. Flâner le nez au vent. Regarder le ciel. Regarder les femmes. Boire un peu. Faire mon testament…
– Oh, tais-toi ! dit sérieusement Peggy.
– Je te demande pardon, dit Michael.
– Content que je t’aie téléphoné ?
La voix de Peggy était intentionnellement chargée de coquetterie.
Je suppose qu’il n’y avait aucun moyen de l’éviter, dit Michael d’un ton languide.
Tu peux toujours raccrocher !
– Peggy !
Elle éclata de rire.
– Ai-je gagné mon dîner, ce soir ?
– À ton avis ?
– Plutôt deux fois qu’une. Mets
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