Le Bal Des Maudits - T 1
de rue qu’il apercevait, de sa place, et les gens qui en parcouraient les trottoirs. Puis il se leva, se rasa et prit une douche.
Il revêtit un vieux pantalon de flanelle, et une vieille chemise bleue, confortablement amollie et décolorée par de nombreux « blanchissages ». Presque tous ses vêtements étaient déjà empaquetés, mais il restait deux vestes, dans la garde-robe. Il les regarda pensivement, sourit et enfila sa veste grise. C’était une vieille veste usée, lisse et légère à ses épaules…
Sa voiture l’attendait contre le trottoir, dans tout l’éclat de sa peinture et de ses accessoires chromés religieusement astiqués par le commis du garage où il la remisait. Il démarra posément et poussa le bouton de commande du toit décapotable. Le toit se replia majestueusement, et Michael leva les yeux, amusé, comme toujours, par la lente solennité du mouvement.
Il remonta doucement la Cinquième Avenue. Chaque fois qu’il roulait ainsi dans la ville, un jour ouvrable, il ressentait le même plaisir malicieux qu’il avait éprouvé le premier jour où il avait remonté l’avenue, à midi, au volant de sa première voiture flambant neuve, regardant les ouvriers et les employés se presser sur les trottoirs, en route vers leur déjeuner, grisé par le sentiment de sa propre noblesse, de sa propre liberté.
Il laissa la voiture devant la porte de l’immeuble dans lequel habitait Cahoon et remit les clefs au concierge. Cahoon devait l’utiliser et en prendre soin jusqu’au retour de Michael. Il aurait été plus intelligent de la vendre, mais Michael considérait la petite voiture comme un symbole des jours les plus gais de sa vie civile, les longues courses champêtres, au printemps, des vacances exemptes de soucis, et, avec une superstition qu’il ne se connaissait pas, il voyait en elle une sorte de talisman garantissant son retour.
À pied, il continua son chemin. Le jour s’étendait devant lui, soudain vide. Il entra dans un drugstore et appela Peggy.
– Après tout, dit-il, lorsqu’il entendit sa voix, aucune loi ne m’interdit de te voir deux fois le même jour.
Peggy s’esclaffa.
– Je commence à avoir faim vers une heure, dit-elle.
– Je t’offre à déjeuner, si c’ est-ce que tu veux.
– C’est exactement ce q ue je veux.
Puis, plus lentement :
– Je suis heureuse que tu aies téléphoné. J’ai quelque chose de très sérieux à te dire.
– À merveille, gouailla Michael. Je me sens très sérieux, aujourd’hui. Rendez-vous à une heure.
Il raccrocha en souriant, sortit dans le soleil et se dirigea vers le bureau de son notaire, en pensant à Peggy. Il savait de quoi elle désirait lui parler sérieusement. Ils se connaissaient depuis deux ans, deux années riches et chaudes, désespérées, un peu, parce que, jour après jour, on sentait approcher la guerre. Se marier à présent serait pure folie. Se marier, et mourir, et laisser une veuve…
– Eh Michael !
Quelqu’un lui frappa sur l’épaule. Il se retourna. C’était Johnson. Il portait un chapeau de feutre avec un ruban de couleur, une cravate tricotée et une belle chemise crème sous une veste bleu-azur.
– Il y a une éternité que je veux vous voir… N’êtes-vous donc jamais ch ez vous ?
– Pas depuis quelque temps. J’ai pris des vacances.
De temps en temps, Michael aimait dîner ave c Johnson et l’écouter exposer ses théories plus ou moins personnelles, de sa voix profonde et grave, avec sa diction impeccable d’acteur. Mais, depuis les discussion violentes qui les avaient opposés, au sujet du pacte nazi soviétique, Michael avait découvert qu’il lui était presque impossible de bavarder courtoise ment toute une soirée avec Johnson ou l’un quelconque de ses amis.
– Et je vous ai envoyé cette pétition, disait Johnson, en s’emparant du bras de Michael et l’ent raîn ant au petit trot, parce qu’elle est très importante et que vous aussi devriez la signer.
– Quelle pétition ?
Au président. Pour le second front. Tou t le monde la signe des deux mains !
Le visage de Johnson exprimait une colère indubitablement authentique.
– C’est un crime de laisser les Russes supporter tout le poids de la guerre.
Michael ne répondit pas.
– Vous croyez au second front ? demanda Johnson.
– Bien sûr. S’ils peuvent le réaliser.
– Ils peuvent très bien le réaliser.
– Peut-être. Mais peut-être
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