Le Bal Des Maudits - T 1
retrouvèrent seuls, soudain, sur une portion de route déserte, et le bruit mourut, lentement, derrière eux…
Finalement, le lieutenant se redressa et Christian l’imita et parvint même à regarder, avec un certain intérêt, la route ouverte devant eux. Le goût qui emplissait sa bouche était de plus en plus bizarre : un mélange de sang et de bile et de vomissure. Le sable s’introduisait dans les coupures et les meurtrissures de son visage, produisant une impression de brûlure. Mais il respira profondément, et se sentit mieux. Il connut, même, un instant de bien-être insolite.
Derrière lui, la lueur et le grondement du combat s’estompèrent graduellement et s’évanouirent. Il semblait qu’ils eussent à présent le désert pour eux seuls, du Soudan à la Méditerranée, d’ El -Alamein à Tripoli.
Christian se souvenait qu’il avait voulu dire quelque chose au lieutenant, avant que se déclenche tout ce remue-ménage, mais il avait oublié quoi. Il ôta le mouchoir de son visage, regarda autour de lui et sentit le vent emporter la salive qui coulait aux coins de sa bouche. Il était heureux, tout à coup, parfaitement d’accord avec lui-même et le reste du monde. Hardenburg était un homme étrange, mais Christian savait qu’il pouvait compter sur lui pour l’emmener à quelque endroit où ils seraient tous deux en sécurité. En quel temps ? En quel lieu ? Cela n’avait aucune importance. Il n’y avait aucune raison de s’inquiéter.
Quelle chance que le capitaine Mueller, qui possédait le commandement de toute leur compagnie, ait été tué plusieurs jours auparavant. S’il avait vécu au moment de la débandade, ce serait lui qui serait sur cette moto, actuellement, avec Hardenburg, et Christian serait resté sur la colline, avec les trois douzaines de soldats voués à la mort… Q uelle chance que le capitaine Mueller, qui possédait le commandement de toute leur compagnie, ait été tué plusieurs jours auparavant. S’il avait vécu au moment de la débandade, ce serait lui qui serait sur cette moto, actuellement, avec Hardenburg, et Christian serait resté sur la colline, avec les trois douzaines de soldats voués à la mort…
Il aspira une longue bouffée d’air frais. Il était sûr, maintenant, de vivre encore un certain temps, jusqu’à la fin de la guerre, peut-être.
Hardenburg conduisait la motocyclette avec brio, et ils couvrirent de nombreux kilomètres, vers l’ouest, dérapant, tressautant, rebondissant, mais roulant toujours, tandis que l’aube se précisait dans le ciel. En dehors des débris habituels, la route et le désert étaient vides. On tirait toujours, derrière eux, mais très loin, avec des intervalles de silence qui duraient parfois plusieurs minutes.
Le soleil se leva. À présent qu’il pouvait voir, Hardenburg augmenta encore la vitesse de la moto, et Christian dut se cramponner de toutes ses forces.
– Avez-vous sommeil ? cria Hardenburg, en se tournant à demi pour que Christian puisse l’entendre, malgré le vacarme du moteur.
– Un peu. Pas trop, admit Christian.
– Vous feriez mieux de me parler, dit Hardenburg. J’ai failli m’endormir il y a quelques minutes.
– Oui, mon lieutenant, dit Christian.
Il ouvrit la bouche pour parler, et ne trouva absolument rien à dire. Il essaya de préparer une conversation, dans sa tête, et s’aperçut qu’il ne le pouvait pas.
– Allons ! cria Hardenburg, irrité. Parlez !
– Oui, mon lieutenant, dit Christian.
Puis d’un ton désespéré :
– Mais de quoi ?
– De n’importe quoi. Du temps.
Christian examina le temps. C’était exactement le même que tous les jours depuis six mois.
– Il va faire très chaud aujourd’hui, annonça-t-il triomphalement.
– Plus fort, cria Hardenburg, sans se retourner. Je ne vous entends pas.
– J’ai dit qu’il allait faire très chaud aujourd’hui, hurla Christian dans l’oreille de Hardenburg.
– C’est mieux, approuva le lieutenant. Oui, il va faire chaud.
Christian chercha un autre sujet.
– Continuez, s’impatienta Hardenburg.
– De quoi aimeriez-vous parler ? demanda Christian.
Son esprit anesthésié était incapable d’un pareil effort intellectuel.
– Grand Dieu ! mais de n’importe quoi ! Êtes-vous allé à ce bordel grec qu’ils ont organisé à Cyrène ?
– Oui, mon lieutenant, dit Christian.
– Comment était-ce ?
– Je ne sais pas. Nous
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