Le Bal Des Maudits - T 1
Puis il suivit Hardenburg et Knuhlen.
Knuhlen marchait comme un somnambule derrière la motocyclette. Ils parcoururent une cinquantaine de mètres, en silence. Puis, Hardenburg s’arrêta.
– Tenez-ça, dit-il à Christian.
Christian saisit le guidon de la machine et l’appuya contre ses jambes. Knuhlen s’était arrêté et regardait patiemment le lieutenant. Hardenburg se racla la gorge, comme s’il allait faire un discours et frappa Knuhlen, sauvagement, entre les deux yeux. Cette fois, Knuhlen s’assit par terre, sans un cri, fixant toujours sur le lieutenant son regard morne et tenace. Hardenburg l’observa pensivement une seconde, puis sortit son pistolet de son étui et l’arma. Knuhlen ne bougea pas. Son visage sanglant n’exprima aucune inquiétude.
Hardenburg tira. Une fois. Knuhlen tenta de se relever, en s’aidant de ses mains.
– Mon cher lieutenant, dit-il calmement, sur un ton de conversation.
Puis il s’affaissa, la face contre terre.
Hardenburg rengaina son pistolet.
– En route, dit-il.
Il réenjamba la selle de la moto. Au premier essai, elle démarra.
– Montez, dit-il à Christian.
Laborieusement, Christian s’installa sur la sell e arrière. La machine palpitait nerveusement sous lui.
– Cramponnez-vous, ordonna Hardenburg. Prenez moi par la taille.
Christian mit ses bras autour de Hardenburg. « Comme c’est drôle, pensait-il, de tenir un officier par la taille, dans des circonstances semblables, comme une jeune fille prise en croupe par un motocycliste. » Hardenburg sentait affreusement mauvais, et Christian avait peur de vomir.
Le lieutenant embraya. La machine gronda, pétarada, et Christian faillit crier : « Moins de bruit, ce n’est pas gentil pour ceux qui restent derrière. Ce n’est pas gentil, pensait-il, de rappeler à ces trente-sept hommes que d’autres hommes vivront encore, alors qu’eux-mêmes ne seront plus, déjà, que des squelettes blanchis dans leurs trous de protection, mués finalement en fosses mortuaires.
» Trente-six, rectifia machinalement Christian. Trente six soldats, en face des tanks et des véhicules blindés britanniques. Trois douzaines de soldats, pensa-t-il, en se cramponnant au lieutenant, trois douzaines de soldats à combien la douzaine ?… »
Hardenburg atteignit une surface plane et accéléra. Ils foncèrent dans la plaine vide, sous les ultimes rayons de la lune agonisante, cernés de tous côtés par la lueur lointaine des canons. Leur vitesse créait un vent furieux, et le calot de Christian s’envola, mais il s’en moquait parce que le vent lui permettait, aussi, de ne plus sentir l’odeur du lieutenant.
Ils roulèrent vers le nord-ouest, à vitesse constante, pendant près d’une demi-heure. De loin en loin, le long de la piste, ils rencontraient des tanks incendiés, et, çà et là, le squelette dépouillé de quelque camion militaire, avec la colonne de direction pointant vers le ciel comme un canon anti-aérien. Il y avait aussi de nombreuses tombes, hâtivement creusées, hâtivement refermées, avec un fusil à la baïonnette enfoncée dans le sol, et un casque accroché à la crosse. Il y avait les habituelles carcasses noircies des avions abattus, dont les hélices tordues et les ailes déchiquetées par le vent reflétaient vaguement les derniers rayons de lune. Mais ce fut seulement lorsqu’ils atteignirent une route qui se dirigeait droit vers l’ouest qu’ils rencontrèrent d’autres troupes en retraite. Alors, ils se trouvèrent soudain dans un long convoi de camions, de véhicules blindés, de voitures de reconnaissance et de motocyclettes, qui avançaient lentement sur l’étroite piste, dans un nuage étouffant de poussière et de gaz d’échappement.
Hardenburg s’arrêta légèrement en dehors de la piste. Pas trop, parce qu’avec les combats qui s’étaient succédé dans cette région, il était difficile de dire où commençaient les champs de mines. Christian faillit choir de son siège. Hardenburg se retourna et le retint.
– Merci, dit poliment Christian.
Il tremblait de froid, et ses mâchoires étaient serrées comme un étau d e part et d’autre de sa langue gonflée.
– Vous pouvez monter dans un de ces camions, cria Hardenburg, montrant, avec des gestes inutilement énergiques, la procession qui roulait lentement vers l’ouest. Mais ne je pense pas que ce soit votre intérêt.
– Vous avez certainement raison, mon
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