Le Bal Des Maudits - T 1
droite, mais il marchait régulièrement, sans jamais regarder en arrière.
Christian le suivait. Il avait la fièvre. Il avait soif. La mitraillette pendue dans son dos pesait un poids terrifiant, mais il était résolu à ne pas boire ni demander une pause avant que le lieutenant le fasse lui-même. Ils marchaient, traînant les pieds, vers cette piste située au nord où d’autres Allemands pouvaient être en train de battre en retraite, à moins que les Britanniques n’y fussent déjà parvenus.
Christian pensait calmement aux Britanniques. Ils ne paraissaient pas réels ni menaçants. Il n’y avait que deux ou trois choses réelles, pour l’instant ce goût de cuivre, dans sa gorge, la démarche d’animal blessé du lieutenant devant lui, le soleil qui montait peu à peu dans le ciel et les écrasait, peu à peu, sous sa chaleur croissante. Si les Britanniques les attendaient, là-bas, sur cette piste, il serait toujours temps d’aviser. À chaque minute suffisait sa peine.
Ils venaient de s’asseoir pour la seconde fois, assommés, lacérés par le soleil, les yeux mornes de fatigue et d’agonie, lorsqu’ils virent la silhouette d’une voiture se découper à l’horizon. Elle venait vers eux, très vite, dans un tourbillon de poussière. Bientôt, ils se rendirent compte qu’il s’agissait d’une belle auto d’état-major, et, un instant plus tard, s’aperçurent qu’elle était italienn e.
Hardenburg se releva, avec un effort qui fit craquer tous ses os. Il boitilla pesamment jusqu’au centre de la piste et s’y tint immobile, pantelant, regardant calmement approcher le véhicule. Il avait l’air à la fois menaçant et saugrenu, avec son bandage sanglant en travers du front, et ses yeux rouges congestionnés, profondément enfoncés dans leurs orbites. Ses mains pendaient à ses côtés, non pas inertes, comme l’avaient été celles de Knuhlen, mais à demi fermées et prêtes à agir.
Christian se leva, mais ne rejoignit pas Hardenburg au centre de la piste.
La voiture fonça vers eux, réclamant le passage à grands coups de klaxon. Hardenburg ne broncha pas. Il y avait cinq hommes dans l’auto découverte. Immobile et froid, Hardenburg les regardait venir. Christian était sûr que le véhicule allait écraser le lieutenant et il ouvrait la bouche pour l’avertir lorsque, dans le grincement de ses freins hâtivement serrés, la longue voiture s’arrêta devant Hardenburg, à portée de la main du lieutenant.
Il y avait deux soldats italiens sur le siège de devant, l’un conduisait, l’autre était assis près de lui f usil au poing. À l’arrière, il y avait trois officiers ; dès que la voiture fut arrêtée, tous trois se levèrent et interpellèrent furieusement Hardenburg, en italien.
Hardenburg ne broncha pas.
– Je veux parler au plus haut officier du détachement, dit-il, dans sa propre langue.
Les trois officiers discutèrent, en italien. Finalement, un gros major aux cheveux noirs prit la parole, dans un mauvais allemand :
– C’est moi, dit-il. Si vous avez quelque chose à me dire, venez donc me le dire ici.
– Veuillez descendre, répliqua Hardenburg, absolument immobile devant le capot de la voiture.
De nouveau, les trois officiers se consultèrent. Puis le major ouvrit la portière et sauta, gras et fripé dans ce qui avait été autrefois un bel uniforme. Il s’avança vers Hardenburg, d’un air belliqueux. Hardenburg exécuta son célèbre salut. Le salut était impeccable et paraissait étrangement théâtral dans le vide immense du désert. Le major claqua des talons et retourna le salut.
– Nous sommes très pressés, lieutenant, dit nerveusement le major en regardant les galons de Hardenburg. Que désirez-vous ?
– J’ai l’ordre, répliqua froidement Hardenburg, de réquisitionner un moyen de transport pour le général Aigner.
Le major ouvrit la bouche et la referma tristement. Il jeta un coup d’œil autour de lui, comme s’il s’attendait à voir surgir le général Aigner en personne.
– C’est ridicule, dit-il enfin. Nous avons derrière nous une patrouille néo-zélandaise, et nous n’avons pas le temps de…
– Mes ordres sont formels, récita Hardenburg. Je n ’ai pas entendu parler de cette patrouille néo-zélandaise.
– Où est le général Aigner ?
Le major jeta alentour un second regard plein d’inquiétude.
– À cinq kilomètres d’ici, dit Hardenburg. Sa voiture blindée est
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