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Le Bal Des Maudits - T 1

Le Bal Des Maudits - T 1

Titel: Le Bal Des Maudits - T 1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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hiérarchique.
    Colclough s’arrêta devant Noah, fixa sur lui un regard morne. Colclough avait une haleine épouvantable. On eût dit que quelque chose était en train de pourrir lentement et continuellement dans son estomac. Colclough était un officier de la Garde Nationale , o riginaire du Missouri, qui, avant la guerre, avait travaillé à Joplin, chez un entrepreneur de p ompes funèbres. « Son haleine ne dérangeait probablement pas ses clients, en ce temps-là », pensa follement Noah. Il avala sa salive, espérant étouffer le rire démentiel qui montait à sa gorge, tandis que le capitaine louchait vers son menton, en quête de quelque poil oublié.
    Colclough regarda la boîte à paquetage de Noah, au pied de son lit, examinant attentivement les chaussettes roulées, l’arrangement géométrique des objets de toilette.
    –  Ôtez le plateau, sergent, dit-il.
    Rickett se pencha, ôta le plateau, découvrant le s serviettes aux plis rigides, les chemises raides, les sous vêtements de laine, et, tout à fait au fond, les livres.
    Combien de livres avez-vous ici, soldat ? demanda Colclough.
    –  Trois.
    –  Trois, qui ?
    –  Trois, mon capitaine.
    –  Édités par le gouvernement ?
    Sous les vêtements de laine, il y avait Ulysse, le s Poèmes de T. -S. Eliot, et les Opinions sur le Drame, de George-Bernard Shaw.
    –  Non, mon capitaine, dit Noah.
    Colclough se pencha à son tour, repoussa brutalement le linge de corps et s’empara du vieil exemplaire gris d’Ulysse. Involontairement, Noah baissa la tête pour regarder le capitaine.
    –  Tête droite ? hurla le capitaine.
    Noah regarda un nœud, dans une planche, de l’autre côté du baraquement.
    Colclough ouvrit le volume et le feuilleta rapidement.
    –  Je connais ce sale bouquin, dit-il. Il est dégoûtant !
    Violemment, il le jeta sur le sol.
    –  Débarrassez-vous-en, soldat ! Vous n’êtes pas ici dans une bibliothèque.
    Le livre gisait ouvert sur le plancher, pages chiffonnées, au milieu de la baraque. Colclough s’engagea entre les couchettes, près de Noah, et s’approcha de la fenêtre. Noah l’entendait se déplacer lourdement, derrière son dos . Il éprouvait de curieux picotements, à la base de la nuque.
    –  Cette fenêtre n’a pas été lavée, glapit soudain Colclough. Cette saleté de chambrée est une vraie porcherie !
    Il sortit d’entre les couchettes et se dirigea à grands pas vers la porte, toujours suivi des deux sergents sans s’arrêter pour inspecter aucun des autres hommes. Au moment de quitter le baraquement, il se retourna.
    –  Je vais vous apprendre à tenir votre chambrée propre, dit-il. S’il y a un soldat sale parmi vous, c’est à vous de lui apprendre à être propre. Cette baraque est consignée jusqu’à demain matin, au réveil. Il n’y aura aucune permission d’accordée pour le week-end, et il y aura une autre inspection demain matin à neuf heures. Je vous conseille de veiller à ce que votre chambrée soit propre d’ici demain.
    Il pivota et sortit.
    –  Repos ! cria le sergent Rickett.
    Puis il suivit le sergent-chef et le capitaine Colclough.
    Lentement, conscient des cinquante paires d’yeux frustrés et accusateurs qui pesaient sur lui, Noah alla ramasser son livre au milieu de la baraque. Distraitement, il en défroissa les pages. Puis il s’approcha de la fenêtre qui avait été la cause directe de la catastrophe.
    –  Samedi soir, entendit-il une voix protester amèrement, de l’autre côté de la chambrée. Consigné le samedi soir ! T’ai rendez-vous avec une fille de salle, à deux pas d’ici, et son mari rentre demain matin ! Y me semble que je tuerais quelqu’un !
    Noah regarda la fenêtre. Les vitres scintillaient, incolores, contre le paysage monotone et ensoleillé. Dans le coin de la vitre du bas, une mite s’était écrasée contre le verre, en un petit tas jaune et fragile. Songeur, Noah cueillit délicatement la mite.
    Il entendit des pas derrière lui, par-dessus le murmure croissant des voix, mais il demeura immobile, sentant contre ses doigts la texture poussiéreuse, désagréable, de la mite imbécile qui avait jugé bon de choisir, pour se suicider, la vitre de la fenêtre, dont le nettoyage incombait à Noah.
    –  Alors, Youpin ?…
    C’était la voix de Rickett.
    –  T’es content ? T’as réussi ?
    Noah ne se retourna pas encore. Dehors, il voyait un groupe de trois soldats courir comme des fous vers la

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