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Le Bal Des Maudits - T 1

Le Bal Des Maudits - T 1

Titel: Le Bal Des Maudits - T 1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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lit.
    Christian le prit délicatement par le bras et le guida jusqu’à ce que ses genoux touchent le bord de l’autre matelas.
    –  Là, dit Hardenburg.
    –  Pourquoi n’avez-vous dit à personne que vous pouviez marcher ?
    Christian avait l’impression de poser des questions à quelque fantôme évanescent, fuyant dans un cauchemar par une fenêtre ouverte.
    Vacillant un peu, Hardenburg ricana sous son masque de bandages.
    –  Il est toujours nécessaire, énonça-t-il, de ne pas tout dire aux autorités qui vous contrôlent.
    Il se pencha, et sa main erra sur la poitrine du brûlé.
    –  Là, dit une voix.
    La voix était rauque, et n’avait plus rien d’humain.
    –  Là.
    La main de Hardenburg s’immobilisa, maigre et desséchée, sur la couverture blanche, comme la vieille radiographie, terne et jaunie, d’une ossature.
    –  Où est-elle ? demanda Hardenburg d’une voix rauque. Où est ma main ?
    –  Sur sa poitrine, mon lieutenant, dit Christian, sans quitter des yeux la main étendue.
    –  Sur son cœur, précisa Hardenburg. Juste au-dessus de son cœur. Il y a deux semaines que nous répétons ce geste, toutes les nuits.
    Il se retourna, avec une certitude aveugle, regagna son lit et s’y allongea. Puis il tira les couvertures jusqu’à ses épaules, au-dessus desquelles, telle une armure archaïque, s’élevait le casque de bandages.
    –  Maintenant, apportez-moi la baïonnette. Ne craignez rien pour vous-même. J’attendrai deux jours après votre départ, afin que personne ne puisse vous accuser. Je le ferai la nuit, alors que personne ne vient pendant plus de huit heures. Et il ne bougera pas.
    Hardenburg s’esclaffa.
    –  Les horloges ont l’habitude de ne pas bouger, conclut-il.
    –  Oui, mon lieutenant, dit Christian en se levant pour partir. Je vais vous apporter la baïonnette.
    Il l’apporta, le lendemain matin. Il l’avait volée, la veille, dans une cantine, pendant que son propriétaire, à moitié ivre, chantait Lili Marlène avec deux autres soldats. Il l’apporta, cachée sous sa tunique, à la villa du fabricant de soie, et, selon les indications de Hardenburg, la glissa sous le matelas. Il ne se retourna qu’une fois, après avoir dit au revoir au lieutenant, pour regarder, du seuil de la porte, les deux silhouettes aveugles allongées sur les lits parallèles, dans la pièce gaie, avec le soleil et la baie brillant à l’extérieur, derrière les hautes fenêtres élégantes.
    Il s’éloigna en boitant. Ses souliers éveillaient des échos plébéiens dans le couloir de marbre. Il se sentait l’âme d’un étu diant quittant avec tous ses diplômes une université dont il a appris par cœur et vidé de toute leur substance les ouvrages alignés sur les rayons de la bibliothèque.

1 8
     
     
     
    G AAAARDE à vous ! cria une voix, et Noah se raidit au pied de sa couchette.
    Le capitaine Colclough entra, suivi du sergent-chef et du sergent Rickett et commença son inspection du samedi. Il s’avança lentement au milieu de la chambrée, entre les deux rangées de soldats impeccables et rasés de frais. Il regardait en passant leurs coupes de cheveux et l’éclat de leurs chaussures, avec une expression d’hostilité impersonnelle, comme s’il n’inspectait pas des hommes, mais des positions ennemies.
    Le capitaine s’arrêta devant Whitacre, le nouveau.
    –  Ordre général numéro huit, dit Colclough en regardant froidement la cravate de Whitacre.
    –  Donner l’alarme, en cas de désordre ou d’incendie, répondit Whitacre.
    –  Retournez le lit de ce soldat, dit Colclough.
    Le sergent Rickett s’engagea entre les lits, saisit le bord de la couverture et tira violemment. Eues draps émirent un bruit sec, bizarrement sonore, dans la chambrée silencieuse.
    –  Vous n’êtes pas à Broadway, ici, Whitacre, di t Colclough. Vous n’êtes pas à l’hôtel Astor. La bonne ne vient pas faire le ménage tous les matins. Il va falloir que vous appreniez à faire un lit correctement, ici.
    –  Oui, mon capitaine, dit Whitacre.
    –  Fermez là ! dit Colclough. Quand je voudrai vous entendre parler, je poserai une question directe, et vous me répondrez : « Oui, mon capitaine, ou non, mon capitaine ».
    Colclough s’éloigna lentement. Ses talons grinçaient sur le plancher nu. Les sergents marchaient doucement, derrière lui, comme si le bruit, lui aussi, avait été un privilège de la supériorité

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