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Le Bal Des Maudits - T 1

Le Bal Des Maudits - T 1

Titel: Le Bal Des Maudits - T 1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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je n’ai qu’un fils, pour lequel je ne nourris aucun espoir, et j’ai échoué dans tout ce que j’ai tenté… » Et la vision de son frère brûlé dans la chaudière des païens, le hantant à travers l’océan et les ans, jusqu’au dernier souffle de son agonie…
    Noah regardait son père, les yeux secs. La bouche de Jacob était toujours ouverte, intolérablement vivante. Noah bondit sur ses pieds, hésita, traversa la pièce et essaya de fermer la bouche de son père. La barbe était raide et dure contre la main de Noah et les dents se heurtèrent avec un claquement insolite, saugrenu. Mais la bouche se rouvrit, prête à parler, dès que Noah ôta sa main. Plusieurs fois de suite, toujours plus vigoureusement, Noah referma cette bouche. Les articulations de la mâchoire émettaient un petit bruit sec, et la mâchoire était lâche et mo bile, et chaque fois que Noah ôtait sa main, la bouche se rouvrait et les dents brillaient dans la lumière jaune. Noah appuya ses genoux contre le lit pour disposer de plus de force. Mais son père avait été t oute sa vie, contrariant et obstiné et irréductible, avec ses parents, ses instituteurs, son frère, son épouse, sa chance, ses associés, ses femmes et son fils, et il était trop tard pour le changer à présent.
    Noah recula. La bouche demeura ouverte, pitoyable et pâle sous les longues moustaches blanches, sous la noble courbure de la tête morte qui reposait sur l’oreiller douteux.
    Finalement, pour la première fois, Noah se mit à pleurer.

 
4
     
     
     
    A SSIS dans la petite voiture de reconnaissance, avec son casque sur la tête, Christian se sentait une âme d’imposteur. Sa mitraillette était posée sur ses genoux, et ils filaient joyeusement sur la belle route française, entre deux rangées de grands arbres. Ils mangeaient des cerises qu’ils avaient cueillies dans un verger, près de Meaux. Paris était juste devant eux, au-delà des vertes collines. Aux yeux des Français qui devaient le regarder passer, derrière les volets de leurs maisons de pierre, il avait l’air – il le savait – d’un vaillant conquérant, d’un soldat valeureux, d’un destructeur. Il n’avait pas encore entendu tirer un coup de feu, et la guerre était déjà fini e.
    Il se retourna pour parler à Brandt, qui était assis sur le siège arrière. Brandt était photographe dans une des compagnies de propagande, et il s’était attaché, depuis Metz, à l’escouade de reconnaissance de Christian. C’était un homme frêle, à l’allure d’étudiant, qui, avant la guerre, avait été un peintre médiocre. Christian et lui étaient devenus de bons amis lorsque Brandt était arrivé en Autriche, au printemps dernier, pour faire du ski. Avec son visage rouge brique, ses yeux auxquels le vent de la vitesse arrachait des larmes abondantes et son casque de campagne, Brandt avait l’air d’un petit garçon jouant au soldat dans la cour paternelle. Il était coincé sur le siège arrière entre son équipement photographique et un énorme caporal silésien, dont les caisses gigantesques débordaient largement sur les jambes frêles de Brandt. Christian ne put s’empêcher de sourir e.
    –  Pourquoi riez-vous, sergent ? demanda Brandt.
    –  La couleur de votre nez, répondit Christian.
    Prudemment Brandt toucha la peau brûlée, pelée , gondolée.
    –  J’en suis à la septième couche, dit-il. C’est un nez modèle d’intérieur. Allez-y, sergent. Dépêchez-vous de me conduire à Paris. J’ai besoin de boire un verre.
    –  Patience, dit Christian. Encore un peu de patience. Vous ne savez donc pas que nous sommes en guerre ?
    Le caporal silésien éclata d’un rire aussi énorme que sa personne. C’était un jeune homme enthousiaste, simple et stupide et, en dehors du souci de plaire à ses supérieurs, il jouissait intensément de ce voyage sur les routes de France. La nuit précédente, très solennellement, il avait dit à Christian, tandis qu’ils étaient allongés côte à côte, sur leurs couvertures, près du bord de la route, qu’il espérait que la guerre ne se terminerait pas trop tôt. Il voulait tuer au moins un Français. Son père avait laissé une jambe à Verdun, en 1916, et le caporal – qui s’appelait Kraus – se souvenait d’avoir déclaré, à l’âge de sept ans, debout et rigide devant son père unijambiste, en sortant de l’église, la veille de Noël : « Je mourrai heureux après avoir tué un

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