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Le Bal Des Maudits - T 1

Le Bal Des Maudits - T 1

Titel: Le Bal Des Maudits - T 1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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jeune fille abandonnée par son amant, par un après-midi ensoleillé, près d’une rivière murmurante. Yeux mi-clos, Christian écoutait cette musique intérieure, et le jour ne brillait qu’occasionnellement sur les paillettes d’or de ses yeux. Il revoyait l’un des clarinettistes. Un petit homme triste, avec un crâne chauve et des moustaches tombantes, poivre et sel, comme un mari de dessin animé, dont la femme porte la culotte.
    « Vraiment, pensa Christian, d’humeur folâtre, en un temps comme celui-ci, je devrais plutôt fredonner du Wagner. C’est probablement une sorte de trahison envers le troisième Grand Reich de ne pas chanter Siegfried aujourd’hui. » Il n’aimait pas beaucoup Wagner, mais il se promit d’y penser sérieusement dès qu’il en aurait fini avec le quintette de clarinettes. Peut-être cela l’aiderait-il, par la même occasion, à rester éveillé… Sa tête tomba sur sa poitrine et il dormit, respirant doucement et souriant toujours. Le chauffeur le regarda, s’esclaffa et le désigna du pouce, avec une amicale ironie, à l’intention du photographe et du caporal silésien. Le caporal silésien éclata d’un rire rugissant, comme si Christian avait exécuté, pour son seul bénéfice, quelque tour irrésistiblement habile et amusant.
    Les trois automobiles filaient sur la route lisse, à travers la campagne verdoyante et déserte, uniquement peuplée de poulets, de canards et de rares bêtes à cornes, comme si tous les habitants en vacances étaient partis à la foire dans la ville la plus proche.
    Le premier coup de feu semblait faire partie de la musique.
    Les cinq coups de feu suivants l’éveillèrent, et le grincement des freins, et la sensation désagréable de la voiture glissant soudain sur le côté pour aller s’arrêter dan s le fossé, inclinée et boiteuse. Encore à moitié endormi, Christian bondit de son siège et s’aplatit derrière la voiture. Les autres s’allongèrent près de lui , d ans la poussière. Il attendit que quelque chose se produise, que quelqu’un lui dise ce qu’il convenait de faire à présent. Puis, il s’aperçut que les autres le regardaient anxieusement. « L’officier subalterne, pensa-t-il, auquel on a confié un commandement, doit envisager clairement la situation, du premier coup d’œil, et communiquer sa décision en quelques ordres précis et simples. Il ne doit trahir aucune incertitude, et agir en toutes circonstances avec confiance et agressivité. »
    –  Quelqu’un de blessé ? chuchota-t-il.
    –  Non, dit Kraus.
    Il avait le doigt sur la détente de son fusil, et, très excité, avançait un œil circonspect à l’abri du pneu de la voiture.
    –  Seigneur, disait Brandt , n erveusement. Oh, Seigneur !
    Il essayait de débloquer le cran de sûreté de son pistolet, comme s’il n’avait jamais eu l’occasion de s’en servir auparavant.
    –  Laissez ça tranquille, ordonna Christian, laissez ce cran de sûreté. Vous allez tuer quelqu’un si vous vous y prenez de cette manière.
    –  Sortons d’ici, gémit Brandt.
    Son casque était tombé et ses cheveux étaient couverts de poussière.
    –  Sortons d’ici… On va tous se faire tuer.
    –  Bouclez-la, dit Christian.
    Il y eut une nouvelle salve. Des balles traversèrent la voiture et un pneu éclata.
    –  Seigneur, murmura Brandt, Seigneur !
    Christian rampa vers l’arrière de la voiture, franchissant le corps du chauffeur. « Ce chauffeur, pensa machinalement Christian, n’a pas dû se laver depuis l’invasion de la Pologne. »
    –  Pour l’amour de Dieu, dit-il d’un ton irrité, pourquoi ne prenez-vous pas un bain ?
    –  Excusez-moi, sergent, dit humblement le chauffeur.
    Protégé par la roue arrière de la voiture, Christian leva la tête. Un petit bouquet de marguerites s’agitait doucement devant ses yeux, porté par sa proximité à la taille d’arborescences préhistoriques. La route, brillante un peu sous le soleil, s’étendait droite, devant lui.
    À quelques mètres, un petit oiseau atterrit et sautilla parmi les herbes, ébouriffant ses plumes, jetant occasionnellement un petit appel rauque, comme un client dans un magasin désert.
    Cent mètres plus loin, s’élevait la barricade.
    Christian l’examina soigneusement. Elle était située en travers de la route, comme une digue en travers d’un ruisseau, à un endroit où la terre labourée s’élevait rapidement de part et d’autre, et formait

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