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Le Bal Des Maudits - T 1

Le Bal Des Maudits - T 1

Titel: Le Bal Des Maudits - T 1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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Français. » Il y avait quinze ans de cela. Mais, en traversant chaque nouvelle ville, il jetait autour de lui un regard plein d’espoir, à la recherche de quelque Français complaisant. Il avait été complètement dégoûté, à Chanly, lorsqu’un lieutenant français était apparu à la terrasse d’un café, agitant un drapeau blanc et se rendant sans tirer un seul coup de feu avec seize candidats aux balles de Kraus.
    Christian regarda, au-delà du visage comique d e Brandt, les deux automobiles qui roulaient, à intervalles de soixante-quinze mètres sur la route plate et rectiligne. Le lieutenant de Christian avait emprunté, avec le reste de la section, une autre route parallèle, laissant ces trois voitures sous le commandement de Christian. Ils avaient reçu l’ordre de continuer à foncer vers Paris qui, leur avait-on affirmé, ne serait pas défendu. Christian sourit en sentant sa poitrine se gonfler d’un léger orgueil à la pensée de ce premier commandement : trois voitures, onze hommes, avec un armement de dix fusils, des mitraillettes et une mitrailleuse lourde.
    Il se retourna sur son siège et observa la route, devant lui. « Quelle jolie campagne, pensa-t-il. Si industrieusement exploitée, avec ses champs proprets bordés de peupliers et les sillons réguliers où pointaient les jeunes pousses de juin. »
    « Tout avait été si parfait et si surprenant », pensa-t-il, dans une demi-somnolence. Après le long hiver d’attente, le jaillissement superbe à travers l’Europe, la merveilleuse et irrésistible marée d’énergie, organisée jusqu’au dernier détail, jusqu’à la dernière tablette de sel et au dernier tube de Salvarsan (chaque homme en avait reçu trois, à Aix-la-Chapelle, avec ses rations de campagne, avant de partir, et Christian avait souri de voir… en quelle estime le corps médical tenait la qualité de la résistance française). Tout s’était déroulé avec une exactitude d’horlogerie. Les relais et les postes et les points d’eau juste où on leur avait dit qu’ils seraient, la force de l’ennemi et l’étendue de sa résistance exactement conformes aux prédictions, les routes dans l’état précis où on leur avait dit qu’elles seraient. « Seuls, des Allemands, pensa-t-il, se remémorant le flot complexe d’hommes et de machines qui s’était déversé sur la France, seuls des Allemands pouvaient organiser une telle offensive. »
    Le bourdonnement d’un avion domina soudain celui du moteur de l’auto de reconnaissance. Christian se retourna et leva les yeux. Il sourit. À quinze mètres de hauteur un Stuka volait lentement le long de la route, derrière eux. Il paraissait si gracieux et si sûr, avec les deux roues de son train d’atterrissage tendues en avant, sous son ventre, comme les serres d’un faucon. Un instant, en regardant ses ailes se découper contre le ciel, Christian regretta de ne pas s’être engagé dans l’aviation. Aucun doute possible : ces gars-là étaient les chéris de l’armée et des gens de l’arrière. Et leurs conditions de vie étaient absurdement confortables, comme des installations de première classe dans un hôtel chic. Et les hommes eux-mêmes étaient des types épatants, confiants, insouciants et jeunes ; les meilleurs de tout le pays. Christian les avait vus, dans les bars ; il avait écouté parler leurs petits groupes exclusifs, en leur langue elliptique et particulière, dépensant beaucoup d’argent, parlant de ce que ça avait été au-dessus de Madrid, et du jour où ils avaient touché Varsovie, et des filles de Barcelone, et de ce qu’ils pensaient du nouveau Messerschmitt, oublieux de la mort et de la défaite, comme si ces choses ne pouvaient exister dans leur monde fermé, aristocratique, dangereux et gai.
    Le Stuka survolait Christian, à présent, et Christian pouvait voir le visage du pilote, qui souriait au-dessus de la carlingue. Il lui rendit son sourire, et leva le bras, et le pilote agita ses ailerons et s’éloigna, le long de la route bordée d’arbres qui s’étendait devant eux, dans la direction de Paris.
    À travers la tête de Christian, avec le son rassurant du moteur et le vent parfumé de verdure qui courait dans ses cheveux, passait le motif principal d’un morceau de musique qu’il avait entendu à Berlin, au cours d’une permission. C’était du Mozart. Un quintette de clarinettes, mélancolique et persuasif comme le chagrin spectaculaire d’une

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