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Le Bal Des Maudits - T 1

Le Bal Des Maudits - T 1

Titel: Le Bal Des Maudits - T 1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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rendre. Vous feriez mieux de m’emmener. Aucun Français ne comprendra jamais votre français.
    Christian le regarda et ils se sourirent. « Il n’est pas tellement poltron, en fin de compte », pensa Christian.
    –  Venez, dit-il. Vous êtes invité.
    Puis, avec Brandt armé de son Leica et de son pistolet prudemment remis au cran de sûreté, et Kraus excité, qui formait l’arrière-garde, ils rampèrent sur la mousse jusqu’à l’intérieur des bois, à leur droite , la mousse était tendre, et il s’en dégageait une odeur de terre humide. Le sol était un peu marécageux ; leurs uniformes furent bientôt tachés de vert. Trente mètres plus loin, le terrain s’élevait en pente douce. Ils purent se relever et, pliés en deux, continuer à l’abri de ce couvert.
    Les feuilles remuaient constamment, autour d’eux. Deux écureuils sautaient d’arbre en arbre, comme des fusées. Les ronces agrippaient leurs bottes et leurs pantalons, et ils s’efforçaient de marcher parallèlement à la route.
    « Ça ne prendra pas, pensait Christian, ça va échouer lamentablement. Il est impossible qu’ils soient aussi stupides, c’est un piège habilement tendu, et je suis en train d’y tombe r. L’ armée arrivera à Paris sans encombre, mais je ne le verrai pas. » Ils pourraient crever dans ces bois, et personne ne les trouverait, que les hiboux et les animaux des forêts. Il avait sué, sur la route, et pendant qu’il rampait, mais, à présent, le froid pénétrait sous ses vêtements et glaçait la sueur sur sa peau. Il serra les dents pour les empêcher de claquer. Les bois devaient grouiller de Français, désespérés, pleins de haine, cachés derrière ces arbres et dans ces buissons qu’ils connaissaient comme leur poche, sauvagement heureux de tuer un Allemand de plus avant d’être écrasés par l’effondrement général. Brandt, qui avait marché toute sa vie sur les trottoirs des grandes villes, faisait autant de bruit qu’un troupeau de bétail.
    « Pourquoi, pensait Christian, pourquoi fallait-il que tout se passe de cette manière ? » La première escarmouche. Toute la responsabilité sur ses épaules. Juste le jour où le lieutenant n’était pas avec eux ! Pendant tous les autres moments de la guerre, il avait été là, louchant sur le bout de son long nez, ricanant, disant : « Sergent, est-ce ainsi qu’on vous a appris à donner un ordre ? » et « Sergent, croyez-vous que ce soit la manière correcte de remplir un ordre de réquisition ? Sergent, lorsque je dis que je veux dix hommes ici à quatre heures, ce n’est pas quatre heures deux, ni quatre heures dix, ni quatre heures et quart. Quatre heures, sergent. Est-ce clair ? » Et maintenant le lieutenant roulait paisiblement dans sa voiture blindée, sur une route parfaitement sûre, le crâne bourré de stratégie, et de Clausewitz, et de dispositions de troupes, et de mouvements tournants, et de champs de tir, et de marches à la boussole sur terrain inconnu, alors qu’il n’avait besoin que d’une carte routière Michelin et de quelques bidons d’essence. Et Christian, simple civil en uniforme, avançait à travers des bois pleins de périls inconnus, menant contre une position fortifiée une patrouille improvisée, avec deux hommes qui jamais de leur vie n’avaient tiré sur personne… C’était de la démence. Ça ne réussirait pas. Il se souvint de son optimisme sur la route et s’en étonna.
    –  Un suicide, dit-il. Un vrai suicide.
    –  Pardon ? chuchota Brandt.
    Sa voix porta dans la forêt bruissante comme un gong.
    –  Qu’avez-vous dit ?
    –  Rien, dit Christian. Restez tranquille.
    Ses yeux lui faisaient mal à force de surveiller chaque feuille, chaque brin d’herbe.
    –  Attention ! cria Kraus, affolé. Attention !
    Christian plongea derrière un arbre. Brandt plongea derrière lui, et la balle frappa le tronc au-dessus de leurs têtes. Christian se retourna et Brandt écarquilla les yeux, derrière les verres de ses lunettes, manipulant au petit bonheur le cran de sûreté de son pistolet. Kraus sautait de côté, essayant de dégager la courroie de son fusil du buisson auquel elle s’était accrochée. Il y eut un autre coup de feu, et Christian sentit une brûlure à sa tempe. Il tomba, se releva et tira sur une silhouette agenouillée, qu’il aperçut soudain derrière un rocher, dans un fouillis de verdure et de branches mouvantes. Il vit ses balles écorner la

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