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Le Bal Des Maudits - T 1

Le Bal Des Maudits - T 1

Titel: Le Bal Des Maudits - T 1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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sur la chaussée, sous les branches bourgeonnantes des arbres luisants.
    Ils marchèrent en silence le long du fleuve mouvant, et leurs pas résonnaient, solitaires et braves, au cœur de cette nuit extraordinaire. « Trois minutes, pensait Noah, en regardant ses souliers, quatre minutes, cinq minutes sans parler. » Il y avait dans leur silence une intimité illicite, un désir et une tendresse presque tangibles dans l’écho de leurs pas, dans leurs respirations contenues, dans les précautions qu’ils prenaient pour ne pas se toucher de la main, du coude ou de l’épaule. Le silence devint l’ennemi, le traître. Encore un instant, sentait Noah, et la jeune fille qui marchait près de lui, d’un pas ferme et timide à la fois, comprendrait tout, comme si, juché sur la balustrade qui séparait le fleuve de la rue, il s’était mis, pendant une heure, à déclamer des poèmes amoureux.
    –  New York City, dit-il d’une voix rauque, doit avoir quelque chose d’effrayant, pour une jeune fille de la campagne.
    –  Non, dit-elle.
    –  Il est vrai, continua-t-il désespérément, que tout ce qu’on en dit est nettement surfait. Elle s’efforce de paraître sophistiquée et cosmopolite, mais, au fond, elle est inaltérablement provinciale.
    Il sourit, enchanté de l’« inaltérablement ».
    –  Je ne le pense pas, dit la jeune fille.
    –  Quoi donc ?
    –  Je ne pense pas que New York City soit provinciale. En tout cas, pas après le Vermont.
    –  Oh !…
    Il émit un petit rire indulgent.
    –  Où êtes-vous allé ? demanda-t-elle.
    –  À Chicago, dit-il. Los Angeles, San Francisco… Un peu partout.
    Son geste débonnaire suggérait que tels étaient simplement les premiers noms qui lui venaient à l’esprit, mais que, s’il avait voulu énumérer toute la liste, Paris, Vienne et Budapest seraient certainement venus en leur temps.
    –  Je dois dire, pourtant, continua-t-il, que New York possède de belles femmes. Un peu voyantes, mais très attirantes.
    « Dans le mille, pensa-t-il avec satisfaction, en l’observant anxieusement du coin de l’œil, juste ce qu’il fallait dire. »
    –  Évidemment, reprit-il, les femmes américaines ne sont vraiment désirables que lorsqu’elles sont jeunes. Ensuite…
    Une fois de plus, il tenta un haussement d’épaules et le réussit.
    –  Pour moi, dit-il, je préfère le type continental, légèrement plus âgé. Elles atteignent leur plein éclat lorsque les femmes américaines sont déjà des harpies ferventes de bridge, avec des postérieurs qui débordent de leurs chaises.
    Il la regarda un peu nerveusement. Mais la jeune fille n’avait pas changé d’expression. Elle avait cueilli, en passant, une petite branche flexible et la faisait distraitement courir sur les lattes d’une palissade, comme si elle était en train de réfléchir à ce qu’il venait de lui dire.
    –  Et, à cet âge , u ne femme continentale a appris à manier les hommes…
    Il se remémora rapidement les étrangères qu’il avait connues. Il y avait eu cette pocharde, au bar, le soir où son père était mort. Peut-être était-elle Polonaise ? La Pologne n’était pas une nation terriblement romantique, mais elle était sur le Continent, n’est-ce pas ?
    –  Comment une femme continentale apprend-elle à manier les hommes ? demanda-t-elle.
    –  Elle apprend à se soumettre, dit-il. Les femmes que je connais disent que j’ai une attitude féodale…
    « Oh, mon ami ! mon camarade assis au piano, pardonne-moi ce plagiat, je te le revaudrai au centuple… »
    Ensuite, son débit s’accéléra …
    –  L’art ? dit-il. L’art ? Je ne puis supporter cette notion moderne que l’art est mystérieux et l’artiste un enfant irresponsable.
    »  Le mariage ? dit-il. Le mariage ? Le mariage est l’aveu désespéré, consenti par la race humaine, que les hommes et les femmes ne sont pas capables de vivre ensemble sur la même planète.
    »  Le théâtre ? dit-il. Le théâtre américain ? Il a un certain caractère vivant et enfantin qui n’est nullement désagréable, mais de là à le considérer comme une forme de l’art du XX e siècle !
    Il éclata de rire.
    –  Je préfère Walt Disney.
    Au bout d’un moment, ils regardèrent autour d’eux et découvrirent qu’ils avaient marché longtemps sur la rive du fleuve noir, et qu’il pleuvait de nouveau, et qu’il devait être très tard. Debout près de la jeune fille,

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