Le Bal Des Maudits - T 1
élégance, une sensation d’énergie et de bien-être qui formait un contraste rafraîchissant avec l’ambiance ennuyeuse et terne des villes françaises dans lesquelles il avait vécu au cours de l’année écoul ée.
Il sortit de sa poche le papier sur lequel le lieutenant avait noté l’adresse de sa femme. Ce faisant, il se souvint qu’il avait omis de signaler le pionnier dont il avait troublé les libations, dans le café de Rennes. Il faudrait qu’il y pense, à son retour.
Il se demanda s’d ne valait pas mieux chercher un hôtel avant de porter le paquet chez M me Hardenburg. Il décida de livrer d’abord le paquet. Une fois débarrassé de cette mission, son temps lui appartiendrait en propre, sans aucun rappel du monde qu’il avait laissé à Rennes. Tout en marchant gaiement à travers les rues ensoleillées, il se mit à tracer mentalement l’ébauche d’un plan d’action pour les deux semaines à venir. Théâtres et concerts. Il y avait des agences où les soldats en permission pouvaient obtenir des tickets gratuits, et il lui faudrait faire attention à son argent. Dommage qu’il soit trop tôt pour aller faire du ski. Ç’a urait été la meilleure manière de passer ses deux semaines de liberté. Mais il n’avait pas osé attendre. Dans l’armée, celui qui attend est perdu, et une permission retardée équivaut, la plupart du temps, à une permission disparue.
L’appartement des Hardenburg était situé dans un immeuble neuf, somptueux. Un planton en uniforme se tenait devant la porte, et le hall d’entrée était garni d’épais tapis. En attendant l’ascenseur, Christian se demanda comment la femme du lieutenant s’y prenait pour vivre dans un tel luxe.
Au quatrième étage, il pressa le bouton de la sonnette et attendit. La porte s’ouvrit. Une femme blonde parut, les cheveux en désordre, comme si elle venait de sauter du lit.
Oui ? demanda-t-elle, d’un ton brusque et ennuyé. Que voulez-vous ?
– Je suis le sergent Diestl, dit Christian, pensant à part soi : « Encore au lit à onze heures. Elle n’a pas la plus mauvaise place. » Je suis dans la compagnie du lieutenant Hardenburg.
Oui ? Sa voix était lasse, et elle n’ouvrit pas complètement la porte.
Elle était vêtue d’un peignoir rouge de soie ouatinée et repoussait ses cheveux, à chaque instant, d’un geste impatient et gracieux. « Pas mal, pour le lieutenant, pas mal du tout », ne put s’empêcher de penser Christian.
– Je viens d’arriver à Berlin en permission, dit Christian.
Il parlait lentement, pour avoir le temps de l’examiner à loisir. Elle était grande, avec une longue taille mince, et des seins plantureux, que le peignoir ne cachait pas complètement.
– Le lieutenant avait un cadeau pour vous. Il m’a demandé si je voulais vous le remettre.
La femme regardait Christian, l’air pensif. Elle avait de grands yeux gris et froids, jolis, mais trop délibérés, pensa Christian, trop intelligents et trop calculateurs. Puis elle se décida à sourire.
– Ah ! dit-elle, d’une voix beaucoup plus chaleureuse. Je sais qui vous êtes. Le sergent sérieux, sur les marches de l’Opéra.
– Comment ? demanda Christian, stupéfait.
– La photo, lui rappela la femme. Le jour de la chute de Paris.
– Oh, oui !
Christian se souvint, et lui rendit son sourire.
– Entrez, entrez…
Elle le prit par le bras et l’attira à l’intérieur.
– Prenez votre sac. C’est gentil à vous d’être venu. Entrez, entrez donc…
Le salon était vaste, éclairé par une énorme baie vitrée qui donnait sur un paysage de toits et de cheminées. Un désordre indescriptible régnait dans la pièce. Le plancher était jonché de bouteilles, de verres, de mégots de cigares et de cigarettes. Sur une table gisait un verre brisé, et des vêtements féminins avaient été jetés un peu partout, sur les chaises, la table et le plancher. M me Hardenburg contempla le tableau et secoua doucement la tête.
– Quelle horreur ! dit-elle. Impossible de garder une bonne, de nos jours.
Elle transféra une bouteille d’une chaise sur une table, et vida un cendrier dans la cheminée. Puis elle jeta autour d’elle un regard désespéré.
– Je ne peux pas, dit-elle, je ne m’en tirerai jamais.
Elle se laissa choir dans un fauteuil, ses longue s jambes nues allongées devant elle, les pieds emprisonnés dans des mules de fourrure à hauts
Weitere Kostenlose Bücher