Le Bal Des Maudits - T 1
les assiettes levant Christian.
Puis elle s’assit en face de lui, les seins clairement visibles par l’entrebâillement de sa robe de chambre.
– Chéri, dit-elle, aspirant bruyamment son café, tu ne m’oublieras pas, en Allemagne ?
– Non, dit Christian.
– Tu seras de retour dans trois semaines ?
Oui.
Sûr ?
Sûr.
– Tu me rapporteras quelque chose de Berlin ? dit-elle avec une épaisse coquetterie.
– Oui, dit Christian. Je te rapporterai quelque chose.
Elle lui adressa un large sourire. Elle demandait toujours quelque chose : une robe neuve, un rôti au marché noir, des bas, du parfum, un peu d’argent, pour faire réparer le dessus du canapé… « Lorsque le mari caporal reviendrait d’Allemagne, pensa cyniquement Christian, il trouverait sa femme abondamment pourvue. Il aurait sans doute quelques questions à poser, quand il ferait l’inventaire de sa garde-robe. »
– Chéri, dit Corinne en mâchant vigoureusement le pain qu’elle trempait dans son café, je t’ai ménagé une rencontre avec mon beau-frère, à ton retour.
– Quoi ?
Christian la regarda, interloqué.
– Je t’ai parlé de lui, dit Corinne. Le frère de mon mari. Celui qui est dans l’alimentation. Lait, œufs et fromages, tu sais. Il a une offre intéressante d’entrer en relations avec un commerçant de la ville. Il peut faire fortune en quelques mois, si la guerre dure assez longtemps.
– Merveilleux, répliqua Christian. Je suis heureux d’apprendre que ta famille fait de bonnes affaires.
– Chéri…
Corinne lui jeta un regard chargé de reproche.
– Chéri, ne sois pas aussi étroit d’esprit. Ce n ’est pas aussi simple que ça le paraît.
– Que me veut-il ? coupa Christian.
– Le problème est de rentrer la marchandise à l’intérieur de la ville.
Corinne parlait d’un ton plaintif.
– Tu connais les patrouilles, à l’entrée, sur les routes. Ils vérifient le chargement pour voir s’il s’agit ou non de denrées réquisitionnées… Tu sais ?
– Oui ?
– Mon beau-frère m’a demandé si je connaissais un officier allemand…
– Je ne suis pas un officier…
– Tu es sergent. Mon beau-frère a dit que ça suffisait. Quelqu’un qui pourrait obtenir des autorités un papier quelconque. Quelqu’un qui pourrait, trois fois par semaine, rejoindre le camion en dehors de la ville et rentrer en ville avec lui…
Elle se leva, le rejoignit de l’autre côté de la table et lui passa la main dans les cheveux. Christian esquissa une grimace, certain qu’elle avait encore du beurre sur les doigts.
– Moitié moitié sur tous les bénéfices, continua-t-elle d’un ton enjôleur. Et plus tard, si tu peu x avoir un peu d’essence, et qu’il puisse faire circuler deux autres camions, ta fortune est faite. Tout le monde le fait, tu sais. Ton lieutenant lui-même…
– Mon lieutenant fait ce qu’il veut ! cria Christian.
« Seigneur, pensa-t-il, le frère de son mari prisonnier, impatient d’entrer en relations d’affaires avec l’amant germanique de sa sœur… Les douceurs de la vie familiale, en France occupée. »
– En matière d’argent, chéri, dit Corinne en le serrant dans ses bras, il faut toujours demeurer pratique.
– Dis à ton misérable beau-frère, vociféra Christian, que je suis un soldat, pas un trafiquant de marché noir.
Corinne recula.
– Inutile de nous insulter, chéri, dit-elle froidement. Tous les autres sont des soldats aussi, et ils sont tous en train de faire fortune.
– Je ne suis pas tous les autres ! répliqua Christian.
– Tu en as assez de moi, sanglota Corinne.
– Oh ! Bon Dieu ! jura Christian.
Il enfila sa tunique, s’empara de son calot, ouvrit la porte et sortit.
Au-dehors, dans l’air frais du matin, sa colère tomba graduellement. Après tout, Corinne avait été confortable, et il était possible de faire pis. « Ah ! pensa-t-il, on verra ça en revenant d’Allemagne. »
Il parcourut le trottoir, encore un peu endormi, mais plus excité à chaque pas, à la pensée qu’à sept heures il serait dans le train, en route pour l’Allemagne.
Berlin était glorieux, sous le soleil calme de l’automne. Christian n’avait jamais beaucoup aimé la ville, mais aujourd’hui, en sortant de la gare, sa valise à la main, il eut l’impression de trouver dans les uniformes, et même les vêtements civils, une précision, une solidité, une
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