Le Bal Des Maudits - T 1
Là, est-ce que ce n’est pas juste ce qu’il faut à une femme lorsqu’elle rentre d’une dure journée de travail ?
Christian la rejoignit et repoussa la porte d’un coup de pied, et souleva Gretchen dans ses bras.
Et puis, trois jours avant l’expiration de sa permission – Christian n’était pas inquiet, car Gretchen lui avait dit que tout était en train de s’arranger – le téléphone sonna dans le hall de l’hôtel, et il se rua dans les escaliers pour répondre. C’était sa voix. Il sourit et dit :
– Bonjour, chérie.
– Assez.
Sa voix était dure, bien qu’étrangement étouffée.
– Et ne prononce pas mon nom au téléphone.
– Quoi ? s’écria-t-il, atterré.
– Je te téléphone d’un café, dit-elle. N’essaie pas de m’appeler chez moi. Et n’y viens pas.
– Mais nous avons rendez-vous, à huit heures, ce soir.
– Je l is ce que j’ai dit. Pas de huit heures qui tiennen t ni ce soir, ni jamais. C’est tout. Ne viens plu s ! Adieu !
Il entendit le claquement du récepteur, regarda l’appareil et, lentement, raccrocha à son tour. Il retourna à sa chambre et s’allongea sur le lit. Puis il se releva, enfila sa tunique et sortit. « N’importe où , pensait-il, plutôt que de rester dans cette chambre. »
Il marcha au hasard, à travers les rues, repassant désespérément en revue les détails de cette dernière conversation chuchotée, et les mots et les actes qui l’avaient précédée. La nuit d’avant avait été, pour eux, une nuit ordinaire. Elle était rentrée à une heure dans l’appartement, ivre, mais comme toujours parfaitement maîtresse d’elle-même, et ils avaient bu ensemble jusqu’à deux heures environ, et ils étaient allés se coucher tous les deux. Ils avaient joui l’un de l’autre aussi complètement que d’habitude, et elle s’était endormie, dans ses bras, et l’avait embrassé amoureusement, ce matin, lorsqu’elle était partie, en disant :
– Ce soir, nous commencerons plus tôt. Sois-là vers huit heures.
Rien n’avait pu faire prévoir ce brutal congédiement. Il regarda, sans comprendre, les façades mornes des immeubles et les visages anonymes des passants qui le croisaient. La seule chose à faire était de l’attendre devant la porte de chez elle et de lui demander des explications.
A sept heures, il se posta derrière un arbre, en face du somptueux immeuble. Il pleuvait. En une demi-heure, il fut trempé jusqu’aux os, mais n’y prêta pas la moindre attention. À dix heures et demie, un agent « le police passa pour la troisième fois et lui décocha un regard franchement inquisiteur.
– Je me demande si elle viendra.
Christian parvint à sourire.
– Elle doit se débarrasser chaque soir des assiduités de son patron… Un major !
L’agent lui rendit son sourire.
– C’est la guerre, dit-il. Elle complique tout.
Il secoua la tête avec commisération et passa son chemin.
À deux heures du matin, une des voitures officielles tu familières à Christian s’arrêta devant la maison. Gretchen et un officier en sortirent. Ils discutèrent un instant à voix basse, sur le trottoir. Puis ils entrèrent ensemble, et la voiture s’éloigna.
Christian leva les yeux, et, malgré la pluie et le black-out, tenta de repérer les fenêtres de l’appartement de Gretchen. Mais c’était impossible. Il abandonna la partie.
À huit heures du matin, la même voiture s’arrêta au même endroit, l’officier sortit de l’immeuble et y remonta. « Un lieutenant-colonel », nota machinalement Christian. Il pleuvait toujours.
Il faillit traverser la rue et monter à l’appartement. » Non, pensa-t-il, ça achèverait de tout gâcher. Elle serait furieuse et me refermerait la porte au nez et ce serait fini pour toujours. »
Il resta derrière son arbre, les yeux lourds de sommeil, dans son uniforme trempé, regardant la fenêtre que révélait à présent la lumière grise du matin.
Vers onze heures, elle sortit enfin. Elle portait des bottillons de caoutchouc et un léger imperméable muni d’une ceinture et d’un capuchon, comme un manteau militaire de camouflage. Elle paraissait fraîche et bien reposée, comme chaque matin, svelte et juvénile sous un vêtement de pluie. Elle s’éloigna d’un pas rapide.
Il la laissa tourner à gauche, dans la première rue, et la rejoignit.
– Gretchen, dit-il, en lui touchant le coude.
Elle fit volte-face.
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