Le Bal Des Maudits - T 2
peut-être pas, et je me moque que tu me croies ou non, mais tu es le premier Allemand auquel j’aie jamais permis de porter la main sur moi.
– Je te crois, dit Christian.
Et il la croyait. Quelles que puissent être ses fautes, la déshonnêteté n’était pas du nombre.
– Ne crois pas que cela m’ait été facile, dit Françoise. Je ne suis pas une sainte.
– Oh, non ! approuva gravement Christian. Je viens de m’en apercevoir.
Françoise ne rit pas.
– Tu as été le seul, dit-elle. Tant de garçons magnifiques, un si grand choix de jeunes guerriers séduisants… Mais pas un seul, tu m’entends, pas un seul… Je n’ai jamais rien donné aux conquérants… Jusqu’à ce soir…
Christian hésita, vaguement troublé.
– Et pourquoi, ce soir, as-tu changé ? demanda-t-il.
– Oh ! ce n’est pas pareil, à présent.
Françoise rit. Un rire ensommeillé de femme satisfaite.
– Tu n’es plus un conquérant, chéri, tu es un réfugié…
Elle se tourna vers lui, l’embrassa.
– Il faut dormir, à présent, dit-elle.
Elle recula jusqu’à l’autre bord du lit. Allongée sur le dos, les bras chastement posés contre ses hanches, les contours de son long corps svelte clairement dessinés sous le drap qui la couvrait, elle s’endormit.
Christian ne dormit point. Rigide et mal à l’aise, il écoutait, près de lui, la respiration régulière et saine de Françoise et regardait, au plafond, palpiter les reflets du miroir. Dehors, sur le trottoir, crut et décrut de nouveau le pas clouté de la patrouille. Et le bruit n’était plus ni lointain, ni agréable, ni dépourvu de signification.
« Un réfugié », se remémora Christian, retrouvant, à la même seconde, le son moqueur du rire qui avait accompagné ces deux mots. Il tourna la tête, regarda Françoise. Même dans son sommeil, il s’imagina distinguer, au coin de sa jolie bouche passionnée, un petit sourire narquois et victorieux. Christian Diestl, le réfugié, admis enfin dans le lit de la Parisienne. « Les Français, pensa-t-il, ils nous battront tous encore. Et, pis encore, ils le savent parfaitement. »
Et, contemplant, la rage au cœur, le beau visage posé près de lui sur l’oreiller, il se sentit séduit, capturé, et pour quelles fins ironiquement supérieures ! Et Brandt, ivre, épuisé, plein d’es poir, dans la chambre voisine, pris à un piège semblable qui portait, lui aussi, l’étiquette « Made in France ».
Il en voulut à Brandt d’avoir été une proie aussi volontiers consentante. Christian pensa à tous les hommes qu’il avait approchés et qui étaient morts. Hardenburg, Kraus, Behr, le brave petit Français, sur la route de Paris, le jeune cycliste, le fermier, dans la cave de la mairie, debout près du cercueil ouvert, les hommes de son peloton, en Normandie, l’Américain à demi nu et follement courageux, en Italie, à l’entrée du pont miné. « Il est injuste, pensa-t-il, que les couards survivent où sont morts les hommes d’élite. Brandt, avec sa rouerie de civil, sain et sauf dans le lit parisien… Il y avait trop de Brandt, qui savaient à quelles portes frapper, et ce qu’il fallait dire pour en obtenir l’ouverture. Les forts n’étaient-ils tombés que pour permettre aux faibles de survivre ? Seule, la mort était capable de rétablir la justice. De meilleurs amis que Brandt étaient morts à ses côtés, depuis quatre ans : Brandt resterait-il seul vivant, sur les os de Hardenburg et des autres ? La fin justifie les moyens, et, après le massacre universel, la fin serait-elle le civil Brandt, revenant, après trois ou quatre mois de facile captivité, à sa tendre épouse française et recommençant à peindre ses sottes peintures abstraites, s’excusant auprès des vainqueurs du courage des héros morts qu’il aurait trahis ? La mort, depuis le début, avait fauché, impitoyable, tout autour de Christian. Épargnerait-il maintenant, pour une vague conception sentimentale de l’amitié, celui qui méritait le moins d’être épargné ? Était-ce tout ce que lui avaient appris quatre années de tueries ?
Soudain, il lui fut intolérable de penser à Brandt ronflant doucement dans la chambre voisine, intolérable de rester dans ce lit près de la belle femme qui l’avait si confortablement et impitoyablement vaincu. Il se glissa doucement sur la descente de lit et, pieds nus, nu lui-même, gagna la fenêtre. Il regarda les toits de
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