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Le Bal Des Maudits - T 2

Le Bal Des Maudits - T 2

Titel: Le Bal Des Maudits - T 2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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venu du quartier général des S. S., Christian entendait vibrer la sonnette, dans la loge de la concierge, quelque part au fond de l’immeuble. Le pouce de Schlain ne quittait pas le bouton d’appel, et la sonnerie persistait, agaçante, en un sinistre crescendo. Christian alluma une cigarette et en tira nerveusement une longue bouffée. « Ils vont l’entendre, de là-haut, pensait-il. Ce von Schlain est un idiot. »
    Finalement, la chaîne de sûreté cliqueta, derrière la porte, et Christian entendit la voix somnolente, exaspérée, de la concierge. Von Schlain aboya quelques paroles rapides, en français. La porte s’ouvrit. Von Schlain et les quatre soldats pénétrèrent dans le corridor.
    Christian se mit à marcher de long en large, en tirant sur sa cigarette. L’aube commençait à renaître. Une lumière perlée, nuancée de bleus insolites et de violets inconcevables, s’étendait lentement sur les rues et les immeubles de Paris. C’était magnifique, et Christian le haïssait. Bientôt, aujourd’hui, peut-être, il quitterait Paris et ne le reverrait jamais plus. Il était heureux de l’abandonner aux Français, aux Français rasés, insinuants, éternellement victorieux. Bon débarras ! On eût dit une plaine fertile, et ce n’était qu’un marais puant. On eût dit un havre de beauté et (l’espoir, et ce n’était qu’un piège sordide, bien appâté et fatal à la dignité et à l’honneur d’un homme. Sa douceur factice émoussait les armes qui l’attaquaient. Sa gaieté factice plongeait ses conquérants dans une irrémédiable mélancolie. Le corps médical avait eu raison, autrefois. Les cyniques hommes de science avaient doté l’armée du seul équipement convenable pour la conquête de Paris… trois tubes de Salvarsan…
    La porte se rouvrit, et, un manteau civil jeté sur les épaules, par-dessus son pyjama, Brandt sortit entre deux soldats. Suivaient les deux femmes, en pantoufles et robes de chambre. Simone sanglotait, à gros sanglots enfantins, étranglés, déchirants, mais Françoise regardait les soldats avec une calme dérision.
    Christian regarda Brandt, et Brandt le regarda dans la demi-obscurité du trottoir. Il n’y avait rien sur le visage de Brandt, arraché à la sécurité de son sommeil civil. Rien qu’un morne épuisement. Christian détestait ce visage las, délicat, ce visage de vaincu. « Seigneur, pensa-t-il, stupéfait, il n’a même pas l’air d’un Allemand ! »
    –  C’est lui, dit Christian à von Schlain, et ce sont bien les deux femmes.
    Les soldats poussèrent Brandt dans le camion et soulevèrent doucement Simone, à présent perdue dans un abîme de pleurs. Dès qu’elle fut assise dans le camion, Simone tendit la main vers Brandt, et Christian méprisa Brandt pour sa manière éhontée et tragique de porter à ses lèvres, devant les camarades qu’il voulait déserter, la main tremblante de sa maîtresse.
    Françoise refusa l’aide des soldats pour monter dans le camion. Elle regarda Christian un instant, avec une dure intensité, puis secoua doucement la tête, en un geste de morne incompréhension, et se hissa lourdement dans le camion.
    « Là, pensa Christian, là, tu vois, pensa-t-il désespérément, tu vois que tout n’est pas encore fini. Même à présent, il est encore possible de remporter quelques victoires. »
    Le camion démarra. Christian remonta dans la petite voiture avec le lieutenant von Schlain, et tous deux suivirent les prisonniers, à travers l’aube parisienne, en direction du quartier général des S. S.

32
     
     
     
    L’ASPECT de la ville avait quelque chose d’anormal. Il n’y avait pas un seul drapeau aux fenêtres, comme dans toutes les villes depuis Coutances. Il n’y avait pas une seule bannière improvisée, souhaitant la bienvenue aux Américains, et deux Français qui virent arriver la Jeep se hâtèrent de disparaître à son approche.
    –  Stop ! dit Michael à Stellevato. Il y a quelque chose qui ne va pas ici.
    Ils s’arrêtèrent aux abords de la ville, au milieu d’un large carrefour. Les routes s’étendaient autour d’eux, froides et vides dans le matin gris. Rien ne bougeait nulle part. On ne voyait rien, alentour, que les volets clos des maisons de pierre et les routes vacantes de tout véhicule. Après les mois encombrés, durant lesquels toutes les routes de France avaient paru embouteillées de tanks et de chenillettes, de camions-citernes et de pièces

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