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Le Bal Des Maudits - T 2

Le Bal Des Maudits - T 2

Titel: Le Bal Des Maudits - T 2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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dit Ahearn d’un ton martial. Ils étaient sur le point de s’enfuir devant la poussée des Russes. Le colonel jura, agita son sabre et s’écria : « Le trou de mon cul est rond comme une pomme. Suivez-moi ! » Ils le suivirent et battirent les Russes à plate couture. Irrationnel, triompha Ahearn, doctrinal. Aucune relation de cause à effet ! Mais parfaitement efficace…
    –  Il n’existe plus de colonels de ce genre, soupira Michael.
    –  Nous irons faire sécher notre linge sur la ligne Siegfried, hurlait un capitaine britannique, complètement ivre.
    Sa voix montait, rugissante, et noyait la musique de l’orchestre. D’autres voix reprirent le refrain. L’orchestre s’avoua vaincu, abandonna l’air de danse qu’il était en train d’interpré ter, et se mit à accompagner les chanteurs. Le capitaine ivre, un grand gaillard rougeaud aux dents éblouissantes, saisit une jeune fille par la taille et se mit à la pousser devant lui entre les tables. D’autres couples se joignirent à la chaîne, qui ondula follement entre les nappes de papier et les bouteilles débouchées. Bientôt, la chaîne compta une vingtaine de couples chantant, têtes rejetées en arrière, les mains sur les hanches du danseur précédent. La chanson, à présent, était assourdissante.
    –  Très agréable, commenta Ahearn, mais trop normal pour être intéressant, d’un point de vue litté raire. Après une victoire comme celle-ci, il est parfaitement légitime de voir chanter et danser les libérateurs. Mais j’aurais aimé, par exemple, être à Sébastopol, dans le palais du Tzar, lorsque les jeunes cadets ont empli la piscine avec le Champagne du Tzar et ont jeté des douzaines de ballerines nues dans la mousse capiteuse, en attendant l’arrivée de l’armée rouge qui les exécuterait tous ! Excusez-moi, conclut -il gravement en quittant son siège. Il faut que je me joigne à cette farandole…
    Il gagna la piste et prit dans ses mains la taille de Mabel Kasper (née à Shenectady) qui balançait ses hanches de taffetas et chantait de tout son cœur à l’extrémité de la chaîne.
    I v a jeune femme à la robe fleurie apparut devant Michael, souriante au sein du vacarme.
    –  Maintenant ? demanda-t-elle doucement, en lui tendant la main.
    –  Maintenant, acquiesça Michael.
    Il se leva, lui prit la main. Ils se joignirent à la chaîne, et Michael sentit bouger et vivre les hanches sveltes de la jeune femme, sous la soie frêle de sa robe.
    Tout le monde était à présent dans la longue chaîne d’uniformes et de robes aux teintes vives, et tout le monde traînait les pieds dans la poussière, sur la piste de danse, devant l’orchestre déchaîné.
    Nous irons faire sécher notre linge sur la ligne Siegfried…
    Michael chantait aussi fort que les autres, les mains solidement refermées sur la taille svelte et désirable de celle qui l’avait choisi parmi tous les jeunes gens victorieux, dans la capitale en liesse. Et, tout en hurlant avec les autres les mots puérils et triomphants, Michael se souvenait de la sauvage ironie avec laquelle les Allemands les avaient rejetés aux visages des Anglais, qui les avaient chantés pour la première fois en 1939. Mais, cette nuit, tous les hommes étaient ses amis ; toutes les femmes, ses maîtresses ; toutes les cités lui appartenaient ; toutes les victoires étaient méritées ; toutes les vies impérissables.
    Nous irons faire sécher notre linge sur la ligne Siegfried, chantaient à la lueur des chandelles toutes les voix emmêlées. Nous irons faire sécher notre linge sur la ligne Siegfried. Si on la trouve encore là…
    Et Michael comprit qu’il avait vécu, traversé l’océan, porté un fusil, échappé à la mort, pour ce moment inoubliable.
    La chanson se termina. La jeune femme à la robe fleurie se retourna, lui donna ses lèvres, se fondit en lui, l’enlaça, acheva de le griser, tandis qu’autour d’eux naissaient dans la foule soudain recueillie les paroles poignantes et sentimentales de : Ce n’est qu’un au revoir.
    Le pilote de Park Avenue, qui, en 1928, organisait d’ingénieuses cocktail-parties, qui avait exécuté trois raids avec l’escadrille Lorraine, dont les amis étaient morts au cours des années, et qui venait enfin de retrouver Paris, pleurait en chantant, sans chercher à cacher les larmes qui coulaient sur son beau visage vieilli. « Ce n’est qu’un au revoir, mes frères, chantait-il, le bras autour

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