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Le Bal Des Maudits - T 2

Le Bal Des Maudits - T 2

Titel: Le Bal Des Maudits - T 2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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le Daily Express, dit Louise.
    –  Les temps sont devenus moins draconiens, conclut Michael. Moi, j’expie mes péchés en demeurant simple soldat. Ce n’est pas tellement difficile. Nous sommes huit ou neuf millions dans le même cas…
    – Pour la quatrième fois, chantaient les marins. Mais elle disait toujours, Allonge-moi dans le trèfle et refais-le moi.
    Michael et Louise tournèrent dans une rue de traverse, dont une seule maison avait été détruite. Rauques et innocentes malgré leur chanson, les jeunes voix s’atténuèrent et s’engloutirent dans l’obscurité.
    La Cantine des Alliés, en dépit de son nom imposant, se composait de trois petites salles tendues d’étamine poussiéreuse, avec, en guise de bar, une longue planche clouée sur deux tonneaux. De temps à autre, on y trouvait des côtelettes de gibier, du saumon écossais et de la bière froide, que, par déférence pour les goûts américains, la propriétaire conservait dans une grande bassine pleine de glace. Les Français qui s’y aventuraient y pouvaient généralement déguster, au prix légal, une bouteille de vin d’Algérie. Presque tout le monde y trouvait du crédit, s’il en avait besoin, et une femme, même s’il n’en avait pas besoin. Quatre ou cinq dames d’un certain âge, dont les maris paraissaient tous servir en Italie, dans la 8 e armée, s’occupaient béné volement de la cantine, et, fort commodément, sinon légalement, servaient de l’alcool après l’heure de la fermeture.
    Quand Michael entra en compagnie de Louise, quelqu’un jouait du piano, dans la pièce de derrière. Deux sergents pilotes anglais chantaient doucement, au comptoir. Deux soldats américains remorquaient vers les toilettes une wac complètement ivre. Un lieutenant-colonel américain, du nom de Pavone, qui avait l’allure d’un comique burlesque, était né à Brooklyn, avait dirigé un cirque, en France, vers 1930 ou 1935, servi, au début de la guerre, dans la cavalerie française et fumait, sans arrêt, d’énormes cigares, faisait à quatre correspondants de guerre quelque chose qui ressemblait fort à un discours. Dans un coin, presque inaperçu, un Français gigantesque qui – tout le monde le savait – était parachuté deux ou trois fois par mois au-dessus de la France, pour le compte de l’Intelligence Service, mangeait des verres à Martini, chose qu’il faisait invariablement lorsqu’il était ivre et se sentait cafardeux. Dans la petite cuisine de l’arrière-salle, un grand sergent-chef de M. P. américain qui était du dernier bien avec l’une des directrices de la cantine, se faisait frire une pleine poêle de poisson. Un major aviateur de vingt-trois ans, qui, l’après-midi même, avait bombardé Kiel, jouait au poker avec un correspondant de guerre, près de la porte de la cuisine, et Michael entendit le major déclarer : « Je vous joue cent cinquante livres. » Puis il vit le major rédiger gravement un billet à ordre de cent cinquante livres et le poser non moins gravement au centre de la table. « Je tiens l’enjeu », répliqua son adversaire. Il portait un uniforme de correspondant américain, mais il avait l’accent hongrois. Puis il rédigea, à son tour, un billet de cent cinquante livres et le posa sérieusement sur celui du major.
    –  Deux whiskies, dit Michael au caporal anglais qui servait au bar lorsqu’il venait à Londres en permission.
    –  Plus de whisky, colonel, répliqua le caporal.
    Il n’avait plus de dents, et, pensa Michael, ses gencives devaient être en piteux état, à force de manger les rations de l’armée britannique.
    –  Plus de whisky, colonel. Je regrette.
    –  Alors, deux gins.
    Le caporal, qui, par-dessus son uniforme, portait un large tablier, servit adroitement deux verres.
    Au piano, dans l’autre pièce, des voix mâles chantaient :
    Mon père fait du marché noir, Ma mère vend d’l’alcool à foison, Ma frangine fait le trottoir, Le pognon rentre à la maison…
    Michael leva son verre.
    –  À ta santé, dit-il à Louise.
    Ils burent.
    –  Six shillings, colonel, dit le caporal.
    –  Mettez ça sur mon ardoise, dit Michael. Je suis fauché, ce soir. J’attends de grosses rentrées d’Australie. J’ai un frère cadet qui sert là-bas dans l’aviation…
    Le caporal écrivit laborieusement le nom de Michael sur un calepin taché de sauce et déboucha deux bouteilles de bière chaude pour les sergents pilotes. Attirés par la

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