Le Bal Des Maudits - T 2
très haut et…
Brusquement, il se détourna de Michael.
– Passez-moi le whisky, je vous prie, dit-il.
– La guerre ne m’intéresse pas, continuait Pavone.
Des canons lointains jouèrent l’ouverture du raid.
– Je suis un civil, quel que puisse être mon uniforme. Seule, la paix m’intéresse, la paix qui suivra cette guerre…
Les avions les survolaient, à présent, et les canons menaient, à l’extérieur, un vacarme infernal. Les avions semblaient arriver par deux ou par trois et piquaient au-dessus des rues. M me Kearney tendait une de ses cartes au sergent-chef de M. P., qui venait de sortir de la cuisine avec sa friture à la main.
– L’issue de la guerre a toujours été évidente, dit le colonel Pavone. C’est pourquoi elle ne m’intéresse pas. Depuis Pearl Harbor, j’ai toujours su que nous gagnerions la guerre… L’Amérique ne peut pas perdre une guerre. Vous le savez, je le sais et, maintenant, même les Allemands et les Japonais le savent.
Il fit une grimace de clown, tira sur son cigare.
– C’est pourquoi, je le répète, la guerre ne m’intéresse pas. La paix, elle, est encore plus que douteuse, et c’est pourquoi la paix m’intéresse.
Deux capitaines polonais entrèrent, avec leurs casques pointus qui évoquaient toujours, dans l’esprit de Michael, des éperons et des chevaux de frise. Ils traversèrent la salle, avec des visages fermés et désapprobateurs, et se dirigèrent vers le bar.
– Le monde, reprit Pavone, penchera vers la gauche. Le monde entier, sauf l’Amérique. Non parce que les gens liront Karl Marx ou écouteront les agitateurs venus de Russie, mais parce qu’après la guerre la gauche sera le seul côté vers lequel ils puissent encore pencher. Tout aura été essayé, tout aura échoué. Et l’Amérique, j’en ai peur, sera isolée, haïe, mise au rancart. Nous y vivrons comme des vieilles filles dans une maison isolée en pleine forêt, portes verrouillées, regardant à chaque instant sous les lits, avec des fortunes dans nos matelas, et parfaitement incapables de dormir, parce qu’au moindre craquement de plancher, nous nous imaginerons des meurtriers à l’affût, prêts à nous tuer pour nous voler nos trésors…
Le correspondant hongrois vint à leur table emplir de whisky son grand verre à eau.
– J’ai ma propre théorie sur la guerre, annonça-t-il. Je la publierai plus tard, dans le Life. « Comment sauver le système capitaliste en Amérique », par Laszlo Czigly.
Une batterie tirant à proximité, dans Green Park, lui couvrit un instant la voix, et le Hongrois leva son verre en jetant au plafond un regard chargé de reproches.
Il y eut, au-dessus de leurs têtes, un sifflement aigu, une rumeur de bolide dont l’intensité croissait avec une rapidité inconcevable. Tout le monde se jeta à plat ventre sur le plancher.
L’explosion massacra tous les tympans. Le plancher se souleva. Mille vitres volèrent en éclats. Les lumières vacillèrent et, dans la seconde désordonnée qui précéda leur complète extinction, Michael vit la propriétaire endormie tomber lourdement de sa chaise, ses lunettes toujours pendues à son oreille droite. L’explosion se transforma en un sourd grondement, à mesure que les immeubles s’écroulaient, que les murs s’affaissaient, que les briques emplissaient les cours et les salons. Dans l’arrière-salle, les cordes du piano vibraient toutes ensemble.
– Je vous joue cinq cents dollars, dit une voix, au niveau du plancher.
Et Michael éclata de rire, en constatant qu’il était encore en vie et que la cantine n’avait pas été touchée.
Les lumières se rétablirent. Tout le monde se releva.
Quelqu’un remit la propriétaire sur sa chaise. Elle dormait toujours. Elle ouvrit les yeux, une seconde, et regarda froidement devant elle.
– C’est honteux, dit-elle, de profiter du sommeil de quelqu’un pour lui voler son écharpe.
Elle referma les yeux, ouvrit la bouche et ronfla.
– Bon Dieu ! jura le Hongrois. J’ai renversé mon whisky. Il s’en servit un autre verre.
– Vous voyez, je sue à grosses gouttes ! annonça triomphalement Ahearn.
Les deux capitaines polonais remirent leurs casques, jetèrent autour d’eux un regard méprisant et sortirent. Près de la porte, ils s’arrêtèrent. Quatre photographies étaient épinglées au mur. Roosevelt, Churchill, Staline et Chang Kaï-Chek. L’un des Polonais leva le bras, arracha
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