Le Baptême de Judas
si. Je te connais assez pour savoir que tu désires te rendre là-bas afin d’apprendre l’emplacement de la seconde part. Tu as toujours été une tête chaude et tu as décidé de prendre le taureau par les cornes. Pourquoi cet empressement ? Je ne saurais le dire. Je sais aussi que tu parviendras à tes fins, car c’est ce que souhaite sire Norbert de Craon, le Cancellarius Maximus. Oui, tu as bien lu. Je connais son identité. Je l’ai toujours connue. Mais il ne me revenait pas de te l’apprendre. Je dois te laisser jouer ton rôle, comme je remplirai le mien : m’assurer que tu arrives à Toulouse coûte que coûte et t’assister dans ta recherche de la seconde part.
Je fermai brièvement les yeux, le deuil me frappant soudain, aussi vif que jadis. Montbard ne m’avait pas accompagné. La mort l’avait surpris sur son chemin. En sauvant Pernelle, il avait aussi voulu s’assurer que je puisse poursuivre le mien. Il n’était pas mort que pour elle. Il était aussi mort pour moi.
Si tout s’est déroulé comme Norbert l’a prévu, tu as retrouvé le suaire, seulement pour le perdre aux mains des hommes de Montfort. Véran se sera assuré d’arranger tout ça. Mais têtu comme tu l’es, je mettrais ma main au feu que tu as trouvé le moyen de préserver la première part et de compliquer les choses. Si tel est le cas, Norbert aura jugé bon de te mander auprès de lui au lieu de te faire abattre. Je l’en remercie et j’en rends grâces à Dieu, s’il veut encore m’entendre.
Je ne suis plus qu’un vieil homme usé et diminué. Sur une jambe, je ne sers plus à grand-chose. Mon temps ici-bas tire à sa fin et je ne reverrai sans doute pas Montségur. Je ne m’en plains pas. Dieu jugera mes actes. Ma conscience est lourde, mais en paix. Je n’ai vécu que pour mon devoir. J’ai surtout consacré ma vie entière à quelque chose d’infiniment plus grand que moi et j’ai assumé de mon mieux la minime responsabilité qu’on a daigné me confier.
Je me rappelle comme si c’était hier ce jour de pluie battante où je suis arrivé à Rossal en compagnie de ton père. Encore aujourd’hui, je ne peux songer sans sourire au petit gringalet arrogant qui est venu à ma rencontre. Si j’avais su, alors, ce que je sais maintenant, je serais reparti dans la nuit pour ne jamais revenir. Mais comment pouvais-je me douter que tu te retrouverais impliqué dans cette histoire, alors que tu n’étais qu’un jeune garçon que je devais instruire pour quelque temps avant de reprendre ma route ? Et comment pouvais-je savoir que nous descendrions ensemble dans le Sud ? Que tu passerais du côté des cathares et que je t’y suivrais ? Que tu te retrouverais Magister des Neuf responsable de la première part de la Vérité ? J’ai dû rester là, les bras ballants, pendant que tu te débattais comme un diable trempé dans l’eau bénite pour absolument rien.
Je suis arrivé en Terre sainte alors que je n’étais encore qu’un jeune templier. À cette époque, la Vérité découverte par Hugues de Payns et ses compagnons y était conservée. L’Ordre des Neuf existait déjà, lové au cœur même de l’Ordre du Temple. Y siégeaient les membres des familles fondatrices. En 1187, alors que les Sarrasins menaçaient Jérusalem, il a été décidé de faire passer les deux parts en terre natale. Comme la situation pressait, j’ai été chargé de la première part par Robert de Sablé, Magister Templi, avant que l’on puisse m’accueillir parmi les Neuf. Un canular a été conçu pour que je sois chassé, déshonoré, de l’Ordre des Templiers. J’ai ramené la cassette dans les terres du Sud et je l’ai remise à dame Esclarmonde. Tout cela, tu le sais déjà. Mais il ne s’agit que du vernis qui recouvre le tableau.
Le nom Montbard implique beaucoup plus que l’honneur. Il pose, sur les épaules de certains de ceux qui le portent, un terrible fardeau. Le fait de ne pas être membre des Neuf en quittant Jérusalem n’avait aucune importance, car quelques années auparavant, alors que j’étais à peine un homme, Norbert de Craon m’avait déjà mandé auprès de lui pour me révéler le Secretum secretorum. Puisque tu lis ces mots, c’est que tu te tiens maintenant sur le seuil de ce même secret. Et du même fardeau. À toi de décider si tu le franchiras ou non.
Après avoir livré la première part, je suis revenu là où tu te trouves maintenant pour faire mon rapport à Norbert.
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