Le Baptême de Judas

En même temps que je suis entré ici, en fait.
    Il contempla le médaillon, perdu dans ses pensées, et une grande tristesse ombragea son visage.
    —    Elle s’appelait Urie et elle était ma sœur, murmura-t-il avec nostalgie. Elle était aussi mon émissaire à Toulouse, depuis le jour où les instructions au Magister ont été rédigées. J’ai pourri dans cette caverne et elle en a fait autant dans les rues de la cité. Nous ne nous sommes jamais revus et les seules nouvelles que j’ai eues d’elle m’ont été rapportées par mes hommes. Tout cela pour la cause.
    Il soupira et essuya une larme qui perlait au coin de son œil.
    —    Pauvre, pauvre Urie. Mourir ainsi, malade et loin des siens, dans une ruelle sombre, soupira-t-il. Son corps a sans doute été jeté dans une fosse commune comme un déchet. Je prie Dieu tous les jours pour qu’il la garde près de lui dans sa lumière.
    —    Que, qu’essaies-tu de me dire ? parvins-je à balbutier, la bouche sèche et le corps soudain transi de froid.
    Je n’osais pas imaginer la réponse qu’il me donnerait, même si, dans mon for intérieur, je la connaissais déjà. Norbert inspira profondément et leva vers moi des yeux fatigués.
    —    Que celui qui se tient devant toi est le Cancellarius Maximus, Gondemar, déclara-t-il calmement.

Chapitre 15 Occursaculum
    Alors que je restais muet de stupeur, incapable même de bouger, Norbert garda les yeux rivés dans les miens. Il poursuivit avec la conviction tranquille de celui qui sait qu’il vient de marquer un point.
    —    Je suis celui qui est chargé de protéger la Vérité jusqu’au jour de sa révélation, déclara-t-il. Je porte la responsabilité de décider de tout ce qui la touche, y compris de la vie et de la mort d’hommes et de femmes de grande valeur. Tout cela pour préserver un secret plus précieux qu’un joyau, certes, mais qui est devenu, au fil des ans, bien lourd pour mes frêles épaules. Malheureusement pour moi, tant que la tâche n’est pas terminée et que Dieu me prête vie, je n’ai d’autre choix que de persévérer.
    Il hocha lentement la tête, songeur, une grimace chiffonnant son visage comme s’il venait de mordre dans un fruit amer. Puis il continua en examinant ses doigts crochus, soudain incapable de me faire face.
    —    Par l’intermédiaire d’Urie, c’est avec moi que tu as communiqué à Toulouse, ajouta-t-il d’une voix éteinte. C’est moi qui t’ai dirigé vers Gisors. Puis, par l’entremise de Jacques de Payraud, je t’ai ordonné de remettre la première part de la Vérité à Montfort. Ensuite, comme tu semblais te rebiffer, j’ai ordonné ton exécution. Tout cela bien que tu n’aies rien fait d’autre que de t’acquitter noblement de la mission qui était la tienne.
    Ma cervelle se refusait à admettre ce que mes oreilles entendaient. Norbert de Craon, que je n’avais jamais vu avant ce jour, venait de me citer le contenu de messages qu’il ne pouvait pas connaître, à moins qu’il les ait écrits, comme il l’affirmait. De plus, il était au courant des moindres détails de ma vie. Je ne pouvais imaginer qu’une seule explication : quelqu’un de très près de moi lui avait rapporté mes faits et gestes. Quelqu’un qui me connaissait depuis très longtemps. Depuis mon enfance.
    J’avais beau passer en revue tous ceux qui avaient croisé ma route, je ne voyais qu’une personne qui eût été en mesure de fournir tant de renseignements à mon sujet. Et cette conclusion, je la refusais de toutes mes forces, de toute mon âme. C’était à mes yeux un ignoble sacrilège et j’eusse préféré retourner illico en enfer pour faire face au jugement final de Dieu plutôt que de l’entretenir plus longtemps.
    Bondissant sur mes pieds, j’eus la seule réaction que me permettait ma nature profonde : la violence et l’agression. J’abattis le poing sur la table puis balayai ma coupe du revers de la main pour l’envoyer choir sur le sol, où elle rebondit. J’empoignai le vieillard par la chemise, l’arrachai de son fauteuil pour le remettre debout et me mis à le secouer comme un fétu de paille. Il n’avait que la peau sur les os et ne pesait presque rien, mais cela ne m’arrêta pas.
    — J’ignore comment tu as appris tout ce que tu sais et à quel jeu tu joues, hurlai-je, mais tu mens, vieux mécréant ! Tu mens ! Si tu étais le Cancellarius Maximus, tu protégerais la Vérité au lieu de